La restitution par le Musée J. Paul Getty de trois pièces archéologiques pillées en Italie constitue un acte majeur dans la lutte contre le trafic illicite. Mario Serio, directeur général pour les Biens archéologiques, architecturaux, artistiques et historiques du ministère des Biens et des Activités culturelles, raconte les étapes de cette restitution exemplaire et en tire les leçons.
ROME - Le 5 février, le Musée J. Paul Getty à Los Angeles a restitué à l’Italie trois œuvres provenant de ses collections archéologiques. Au-delà de l’intérêt des pièces, le cas est exemplaire pour deux raisons. Avant tout, cette restitution est basée sur l’application de principes que toutes les institutions culturelles devraient faire leurs. Depuis 1988, ils sont clairement énoncés dans la “Déclaration de Berlin sur les prêts et les acquisitions d’objets archéologiques dans les musées” : “Les musées doivent s’assurer de ne pas acquérir, par achat ou par don, et de ne pas accepter en prêt des objets récemment mis en circulation par le marché illicite (ou bien acquis ou exportés en violation des lois des pays d’origine) et par conséquent privés d’informations quant à leur provenance.” En juillet 1995, le département des Antiquités du Getty nous avait fait savoir qu’il modifiait la politique de développement de ses collections archéologiques : il s’obligeait désormais à n’acquérir que des pièces de provenance certaine et attestée par des documents. En 1992, le musée avait déjà spontanément restitué à l’Italie la plaque de plomb du Ve siècle provenant de Sélinonte, sur laquelle était gravé le texte de la loi sacrée.
Quelques grands musées ont considéré, et considèrent toujours, cette nouvelle politique d’acquisition comme un dangereux précédent. Dans le cas de l’Italie, la conséquence immédiate a été une collaboration intensifiée qui a conduit à l’examen de nombreux objets à la provenance suspecte. La restitution des trois pièces a fait grand bruit, car parmi elles se trouvait l’un des chefs-d’œuvre de la collection d’antiquités classiques conservée dans la villa de Malibu, l’exceptionnelle coupe d’Euphronios.
La kylix d’Euphronios (reproduite ci-dessus) : il s’agit d’une coupe attique à figures rouges du Ve siècle av. J.-C., exécutée et signée par le grand céramiste Euphronios et peinte de scènes de la guerre de Troie par son célèbre élève Onesimos. Le Getty l’a acquise en plusieurs étapes depuis 1983. Grâce à l’inscription gravée sur le pied, la coupe a été identifiée comme une offrande à Hercule. Ce héros était vénéré en Étrurie à l’égal d’un dieu et pouvait donc recevoir des offrandes votives. Les recherches épigraphiques menées sur l’inscription démontrent en outre que l’alphabet utilisé présente des caractéristiques particulières à la région de Cerveteri. D’autre part, l’état des fragments permet de penser que la découverte est le fruit de fouilles clandestines. Reliant tous ces éléments à d’autres indices, la Surintendance archéologique pour l’Étrurie méridionale est arrivée à la conclusion que la kylix a certainement été découverte dans la région de Porta Sant’Antonio-Greppe Sant’Angelo, visitée à plusieurs reprises par les pilleurs de tombes. Cinq campagnes de fouilles, de 1993 à 1997, ont définitivement confirmé l’hypothèse de cette provenance. Un sanctuaire, vraisemblablement consacré à Hercule, y a été en partie mis au jour.
En octobre 1997, Maria Antonietta Rizzo, l’archéologue de la Surintendance qui a dirigé les fouilles et reconstitué l’histoire de la kylix, a présenté les résultats des recherches. Aussitôt, le musée nous a adressé un courrier officiel : si des preuves irréfutables étaient produites, il restituerait la kylix à l’Italie. Admirablement recomposée par le J. Paul Getty, cette coupe se trouve à présent au Musée national étrusque de la Villa Giulia, à Rome.
Le torse de Mithra : ce torse de Mithra, daté du IIe siècle, faisait partie d’un pastiche reconstruit à la fin du XVIe au début XVIIe siècle, et constitué de pièces antiques et d’autres restaurées. Connu sous le nom de Gladiateur Giustiniani, il décorait une fontaine de la villa homonyme à Bassano Romano, plusieurs fois visitée par les voleurs. Le torse, arrivé en Amérique et acquis par le Getty en 1982, était néanmoins fort difficile à identifier puisqu’il était privé de toutes les adjonctions qui en renforçaient la physionomie.
La tête de Diadumène : cette petite tête en marbre, copie de l’époque impériale du Diadumène de Polyclète, a été identifiée par le Pr. Peter Bol, expert en sculptures de Polyclète, comme une pièce découverte à Venosa en 1956. Dès qu’il en a reçu le signalement, le musée nous a tout de suite contactés, se déclarant encore une fois prêt à une restitution.
Les trois œuvres sont rentrées en Italie aux frais du musée californien, sans aucune contrepartie. Le J. Paul Getty a accepté d’assumer toutes les conséquences de cette politique. On ne sait encore jusqu’à quel point les autres grands musées pourront suivre son exemple et sacrifier quelques pièces importantes au nom du progrès des connaissances et de la recontextualisation des œuvres. La voie a néanmoins été ouverte.
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Une restitution exemplaire
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°80 du 2 avril 1999, avec le titre suivant : Une restitution exemplaire