Avignon dispose d’un nouveau musée né de la volonté d’un couple d’artistes locaux aujourd’hui disparus, Jean et Paulette Angladon-Dubrujeaud. Leur résidence contient une collection d’art dont les pièces majeures, signées Van Gogh, Manet, Sisley, Vuillard…, proviennent de la fameuse collection Doucet.
AVIGNON - Dans la région, beaucoup les connaissaient, mais seuls quelques Avignonnais savaient : Jean et Paulette Angladon-Dubrujeaud étaient les derniers descendants du célèbre collectionneur Jacques Doucet. Et rares ont été ceux qui purent visiter leur demeure et admirer leurs œuvres d’art. La conservatrice de la nouvelle fondation, Anne-Marie Peylhard, historien de l’art, fut de ces privilégiés. Elle se souvient de sa première visite, "à l’invitation de Paulette, ce fut une découverte formidable, des toiles jamais montrées d’autres invisibles depuis des années". Il s’agissait alors pour Paulette, veuve de Jean Angladon-Dubrujeaud, âgée et sans enfant, de concevoir la fondation qui, après sa mort, gérerait sa fortune et présenterait au public ses collections. Cette fondation naît en 1993, huit ans après sa disparition. Trois autres années seront nécessaires pour en ficeler les statuts, l’enregistrer à la Fondation de France, liquider quelques actifs pour disposer d’une trésorerie, établir un programme, et réaliser des aménagements muséographiques peu respectueux de l’intimité du lieu.
De vilains comptoirs en Formica imitation bois signalent au public la zone d’accueil au rez-de-chaussée. Trente francs plus tard, après avoir franchi une cour brutalement couverte, le visiteur découvre les nouveaux espaces destinés aux œuvres les plus importantes de la collection. Van Gogh lui-même est présent avec cette Scène de wagons de chemin de fer peinte à Arles, seule toile de l’artiste visible aujourd’hui en Provence.
Univers clinique
Plus loin, des gouaches et des aquarelles de Picasso, un Lapin de Manet, un surprenant Vuillard, La porte entrebâillée (1891), un Portrait de femme par Modigliani, œuvre puissante de 1919, deux singuliers et tendres Foujita représentant l’artiste et sa jeune épouse Fernande (1917), une Nature morte au pot de grès signée Cézanne, un Paysage d’hiver à Louveciennes par Sisley, qui n’est pas sans évoquer La Pie de Claude Monet... Mais aussi Daumier, Derain et Degas, avec une magnifique Étude de danseuse sur fond vert, ainsi que quelques masques africains au pedigree prestigieux puisqu’achetés directement par Jacques Doucet à Paul Guillaume. Autant de pièces d’une grande fraîcheur et d’un intérêt certain, mais arrachées à leur histoire et précipitées dans un univers clinique, finissant même dans des vitrines géantes conçues à la façon des chambres froides pour animaux polaires. Mettre ainsi "sous cloche" les œuvres les plus précieuses permet, il est vrai, des économies de gardiennage !
Partie noble de cette bâtisse du XVIIIe siècle, l’étage supérieur autrefois occupé par les Angladon-Dubrujeaud a été restauré avec un soin particulier, mais "purgé" des œuvres majeures qui étaient d’autant plus intimement liées aux donateurs et à Jacques Doucet qu’elles avaient survécu aux ventes et héritages successifs. Restent dans ces pièces – devant "restituer l’intérieur de ces amateurs éclairés" –, le mobilier, pour l’essentiel du meilleur XVIIIe, de belles antiquités chinoises sous vitrines, des bibelots divers, des objets de la Renaissance comme cet exceptionnel taureau en bronze (Italie, XVIe siècle), juché sur la table de salle-à-manger, et un petit cabinet de dessins. Dans les derniers salons sont réunis mobilier et œuvres françaises et flamandes antérieures au XVIIIe siècle, acquis par les Angladon-Dubrujeaud. Enfin, ont été regroupés, dans une surprenante fin de parcours, l’évocation sommaire et muette (ni panneau, ni commentaire) du couturier Jacques Doucet et la production de peintures de Jean et Paulette, qui n’aurait certainement pas trouvé grâce aux yeux de ce grand collectionneur.
Jacques Doucet (1853-1929) a fait fortune en propulsant dans la haute-couture une entreprise familiale de confection. Mais sa seule passion est l’art. Après le XVIIIe siècle, dont il se sépare en 1912, il s’enthousiasme pour les impressionnistes et les modernes – Rousseau, Modigliani, Braque... Il achètera notamment les Demoiselles d’Avignon, directement à Picasso. Ses appartements successifs sont décorés et meublés par les plus grands décorateurs et artistes de l’époque, Coard ou Pierre Legrain qu’il pensionne, Blaise Cendrars, André Breton, Max Jacob... Il réunit l’une des plus considérables bibliothèques d’art et d’archéologie de ce siècle, cédée en 1918 à l’Université de Paris. Ses collections seront dispersées par sa veuve et sa famille.
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Un musée privé pour Avignon
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Abonnez-vous dès 1 €Fondation Angladon-Dubrujeaud, 5 rue Laboureur, 84000 Avignon. Tél. : 04 90 82 29 03. Du mercredi au dimanche, 13h-18h (19h l’été). Catalogue 150 F.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Un musée privé pour Avignon