Musée

Un musée en quête de domicile

Le quai Branly préféré au Trocadéro ?

Par Adam Guillaume · Le Journal des Arts

Le 18 avril 1997 - 992 mots

Nommé directeur du projet muséologique du futur "Musée de l’homme, des arts et des civilisations", Germain Viatte se voit confier la difficile mission de mener à bien le regroupement des collections ethnographiques du Musée de l’Homme avec celles du Musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie sous la bannière d’un futur musée des "Arts premiers" au palais de Chaillot.

L’ancien directeur du Musée national d’art moderne (Mnam) doit en effet tenir un calendrier particulièrement serré, composer avec la double tutelle Culture/Éducation nationale, renforcer des collections publiques lacunaires, sans compter les problèmes posés par le déménagement, ou non, du Musée de la Marine et la résistance du Musée de l’Homme qui pourraient conduire à la construction du futur musée à l’emplacement de l’espace Eiffel-Branly. Une hypothèse écartée par le président de la République mais qui semble faire son chemin… Dix mille personnes ont déjà signé l’appel lancé par le Comité de défense du Musée de l’Homme. Un stand installé dans le hall du musée recueille les signatures "contre sa destruction et son remplacement par un musée d’Arts premiers". La Royale n’est pas en reste, menaçant de ne pas quitter les lieux tant que les magasins généraux du quai d’Austerlitz ne lui seront pas officiellement affectés. Serge Louveau, secrétaire général de la mission de préfiguration du Musée des "Arts premiers"1, remettra les conclusions de son étude de faisabilité à la fin du mois, mais les 200 millions de budget initialement prévus pour le déménagement du Musée de la Marine devront au minimum être doublés pour la construction d’un nouveau musée de 15 000 m2 en bord de Seine. Dans ces conditions extrêmes, l’ambition première de Germain Viatte – "Je vais essayer de rassembler et surtout pas de diviser" – est frappée au coin du bon sens… "Il faut aller vite, mais sans précipitation, précise le directeur du projet muséologique. Nous souhaitons que l’Établissement public administratif du futur musée soit mis en place dès 1998. Il s’agira d’abord d’un établissement public constructeur, qui sera ensuite transformé en établissement public de gestion, sous la double tutelle Culture/Éducation nationale".

Création contemporaine
Habitué des missions de préfiguration et de programmation, Germain Viatte était associé à celles qui ont présidé à la création du Centre Georges Pompidou. En 1984, Gaston Defferre le charge de la réorganisation des Musées de Marseille ; il y crée notamment le Musée des arts africains, américains et océaniens à la Vieille-Charité. Nommé chef de l’inspection des Musées de France en 1988, il rejoint de nouveau le Centre Pompidou en 1990, à l’appel de Dominique Bozo qui lui demande de regrouper le Mnam et le Centre de création industriel (CCI).

Ni anthropologue, ni ethnologue, Germain Viatte assure néanmoins "s’être frotté à la question des arts primitifs, puisque vingtiémiste". Mais sa formation de conservateur est mal perçue par beaucoup d’ethnologues, y compris par ceux qui se déclarent globalement favorables au projet présidentiel. Ainsi de Marc Augé, directeur d’études à l’EHESS, pour qui "il conviendrait que ce musée conserve une vocation ethno-sociologique, qu’il garde sa vocation anthropologique". Jean Jamin, exécuteur testamentaire de Michel Leiris, va plus loin : "Il fallait nommer à ce poste un scientifique qui s’intéresse à l’art, et non un conservateur. Il s’agit de comprendre ce qu’est l’esthétisme dans des sociétés qui ne sont pas les nôtres : si on n’est jamais allé sur le terrain, il y a un risque de manifester une fois encore de l’ethnocentrisme." Et de rappeler que depuis longtemps, nombre de chercheurs ont eu pour souci de développer l’anthropologie de l’art en jetant des passerelles entre ethnologie et art :Michel Leiris, André Schaeffner, Denise Paulme…

Pour Germain Viatte, ce chemin a très bien pu être parcouru en sens inverse : "Ces clivages entre ethnologues et conservateurs, très ancrés dans certains comportements, sont dépassés pour une institution muséale. Ils n’ont pas de sens dès qu’on aborde l’objet et sa présentation." Selon le directeur du projet muséologique, la création contemporaine sera représentée "dans des modalités qui restent à définir", mais la préhistoire n’aura pas sa place dans la future institution, "en tout cas dans l’étendue que lui donnait le projet présenté par l’équipe actuelle du Musée de l’Homme". Le sort réservé aux sociétés traditionnelles européennes est encore flou. De même, personne ne peut encore dire si les 150 objets présentés dans l’antenne du Louvre à partir de 1999 le seront à titre provisoire ou définitif.

Dépôts réciproques
Germain Viatte souhaite avant tout intégrer la future institution "dans le grand réseau de relations unissant les musées qui s’occupent de ces questions : ceux de Tervuren, de Berlin, de Leyde, le Museum of Mankind, à Londres…" Ces rapprochements permettraient notamment d’initier une salutaire politique d’échanges. Les collections du Musée de Tervuren, près de Bruxelles, sont bien souvent complémentaires des collections françaises. Pourquoi ne pas imaginer des dépôts réciproques ? Dans le même esprit, la relance des missions sur le terrain sera étudiée avec les pays concernés. Il s’agit à la fois de collecter de nouveaux objets, notamment dans les régions peu ou pas représentées dans les collections nationales – toutes les zones en dehors de l’aire coloniale française… –, mais aussi de lutter contre le trafic de pièces issues de fouilles clandestines. Dès que les 150 millions de francs prévus pour les acquisitions seront débloqués, "une commission compétente et vigilante sera mise en place". "Le statut des collections devrait être comparable à celles du Mnam : l’établissement public aura la garde des collections de l’État, sans en être le propriétaire", estime Germain Viatte, qui doit pour l’heure constituer un conseil scientifique d’une quinzaine de membres, incluant les chefs d’établissements concernés.

1. Membres fondateurs : Jacques Friedmann, président de l’UAP ; Françoise Cachin, directeur des Musées de France ; Bernard Dizambourg, directeur de l’Information scientifique, des Technologies nouvelles et des Bibliothèques. Président : Jacques Friedmann. Vice-président : Stéphane Martin, directeur de cabinet du ministre de la Culture. Secrétaire général : Serge Louveau, secrétaire général de l’Établissement public du Grand Louvre. Trésorier : Bernard Dizambourg.

Pour en savoir plus

Sur l’art du Nigeria :
- Michèle Coquet, Arts de cour de l’Afrique noire, Édition Adam Biro, 1996, 160 p. 445 F.
- Armand Duchâteau, Benin. Trésor royal, collection du Museum für Völkerkunde, Vienne, Édition Musée Dapper, 1990, 135 p.
- Trésors de l’ancien Nigeria, catalogue de l’exposition, Paris, Grand Palais, 1984.

Sur les arts "premiers" et le primitivisme :
- Sally Price, Arts primitifs ; regards civilisés, collection "Espaces de l’art", Ensb-a, 1995
- James Clifford, Malaise dans la culture
- Colin Rhodes, Le primitivisme et l’art moderne, Thames and Hudson, 1997

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°36 du 18 avril 1997, avec le titre suivant : Un musée en quête de domicile

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