À Nevers et Castres, ces témoignages de l’activité ferroviaire sont promis à la destruction. Ailleurs, des initiatives individuelles comme des projets politiques ont permis de leur donner une seconde vie.
France. À Veynes, petite commune des Hautes-Alpes, personne n’a oublié la rotonde ferroviaire. Dans cette ville à la croisée de la Méditerranée et des Alpes, le rail a fait vivre de nombreuses familles, et la destruction en 1971 de l’édifice le plus représentatif de cette activité n’est toujours pas digérée : cinquante ans plus tard, une réplique de la rotonde en bois et fer était symboliquement brûlée par les habitants pour commémorer ce « triste anniversaire ». C’est parce que la commune, qui aurait pu recevoir le bâtiment de la SNCF pour un euro symbolique, n’avait pas de projet pour le bâtiment inauguré en 1885 que celui-ci a été détruit. Un scénario habituel pour ce patrimoine ferroviaire lourd à entretenir, dont la SNCF souhaite se séparer lorsqu’il n’est plus utile, et qui peine à trouver des porteurs de projet. Un demi-siècle après Veynes, ce sont d’autres cités cheminotes qui voient leur rotonde menacée de destruction, comme à Castres (Tarn).
Du côté de Nevers (Nièvre), l’annonce par voie de presse de la destruction de la rotonde – inutilisée depuis 2022 – a hérissé plus d’un habitant. « J’ai eu une réaction spontanée à la lecture de l’article », relate l’architecte Luc Tabbagh-Gruau, à l’initiative d’une pétition contre la destruction. « C’est un édifice à la frontière avec la commune de Varennes-Vauzelles, une cité-jardin ouvrière où 3 000 personnes travaillaient dans les ateliers. La rotonde y est inscrite dans la mémoire collective. » En moins d’un mois, la pétition a déjà réuni 3 000 signatures ; mais si les commentaires fourmillent d’idées pour la faire revivre, aucune proposition n’est encore définie. « Le premier geste, c’est d’en faire un débat public, et vu le nombre de réactions, ça touche beaucoup de monde. Maintenant il faut organiser les choses, faire une contre-proposition », explique l’architecte.
Si les exemples de destruction sont légion, de nombreux cas de réutilisation des rotondes sont susceptibles de donner espoir aux habitants. À Béthune (Pas-de-Calais), les gens vont ainsi faire leurs courses dans un drôle d’hypermarché, aux allures de palais postmoderne à la Ricardo Bofill : l’ancienne rotonde construite après guerre, aux dimensions gigantesques, a trouvé une seconde vie en abritant un centre commercial. À Marseille, la ville s’est opposée au permis de démolir déposé par la SNCF en 2014. La société des chemins de fer a finalement combiné dans son projet respect de ce patrimoine de la fin du XIXe siècle – avec sa charpente métallique intacte [voir ill.] – et développement industriel : l’édifice est devenu le centre de remisage des rames TER.
Rendue célèbre par une récente émission de Stéphane Bern, la rotonde de Chambéry (Savoie, [voir ill.]) est quant à elle l’une des rares à trouver une destination uniquement patrimoniale, bichonnée par la Ville dont le Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine organise des visites guidées ponctuelles. Inscrit au titre des monuments historiques en 2004, l’édifice a profité de cette protection patrimoniale. Mais cette distinction n’est pas toujours suffisante, comme à Laon (Aisne), où une inscription de sauvetage en 2015 n’a toujours pas suscité de projet viable, et à Avignon (Vaucluse) où l’activité ferroviaire périclite progressivement sans qu’un plan de reprise soit échafaudé.
Dans la Sarthe, pourtant, la rotonde de Montabon a reçu, en 2010, l’inscription monument historique en même temps que l’attention d’un groupe de particuliers : « La SNCF voulait se séparer du bâtiment et les collectivités locales n’en voulaient pas, retrace Bruno Duru, président de l’association de la Rotonde ferroviaire de la vallée du Loir. C’est un privé qui l’a acheté pour le sauver de la destruction. » Un investissement initial de 25 000 euros qui ne suffit pas pour pérenniser le sauvetage, met toutefois en garde ce retraité du bâtiment : « Il faut très vite avoir un projet. Pour nous, les premières années ont été délicates car nous n’en avions pas. » Quelques années plus tard, la rotonde est devenue un point d’attraction touristique majeur dans ce territoire rural : 8 330 visiteurs ont visité l’exposition animée sept jours sur sept par des bénévoles, et qui présente du matériel roulant d’époque. Un coup de pouce de la Fondation du patrimoine et l’énergie de l’association ont permis cette reconversion réussie. « Maintenant la Mairie, le Département, le pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) s’intéressent à nous, se félicite Bruno Duru. Pour réussir la reconversion, il faut un projet bien ficelé, un dossier qui accroche ! On est à l’ère de la com’. »
À Charleville-Mézières (Ardennes), c’est l’agglomération qui a construit ce « dossier qui accroche ». Séduit, un entrepreneur passionné de patrimoine ferroviaire va réindustrialiser le site en le transformant en atelier de construction de wagons de fret. Auparavant, des projets purement patrimoniaux ou culturels avaient fait flop : si l’idée d’un « musée du train » revient systématiquement, elle se révèle souvent peu viable. « Le ferroviaire, c’est bien, cela intéresse quelques personnes, mais on n’attire pas les jeunes, toute une frange de la population que ça n’inspire pas plus que ça… », souligne Bruno Duru, qui a pourtant réussi à monter l’un de ces rares projets muséaux. Spectacles et événements diversifient aujourd’hui l’activité de l’association, pour toucher le plus grand nombre.
Hormis le cas marseillais, où l’Arep, agence d’architecture, filiale de la SNCF, a mené la réhabilitation, la SNCF est la grande absente de ces reconversions. Un état de fait qui étonne Luc Tabbagh-Gruau, l’architecte neversois : « La SNCF ne profite pas de cette occasion pour améliorer son image de marque. On voit de grandes firmes automobiles qui ont compris qu’elles pouvaient jouer sur leur patrimoine, leur histoire industrielle. La culture du train se développe aussi par la valorisation du patrimoine. »
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Que faire des rotondes SNCF inutilisées ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°629 du 15 mars 2024, avec le titre suivant : Que faire des rotondes SNCF inutilisées ?