Musée

Le choix du conservateur

Philippe Le Leysour, Conservateur en chef du Musée des beaux-arts de Tours

« Des films en hommage au retable de Mantegna de Tours »

Par Philippe Le Leysour · Le Journal des Arts

Le 3 décembre 2004 - 529 mots

Philippe Le Leyzour, conservateur en chef du Musée des beaux-arts de Tours, présente deux films de Sarkis (né en 1938 à Istanbul), Au commencement l’entrée et Au commencement l’aura (1997-1998).

Présentés au Musée des beaux-arts de Tours en octobre 2000 avec la collaboration du Centre de création contemporaine, après l’avoir été au capcMusée d’art contemporain de Bordeaux lors de la grande exposition que ce musée a consacré à Sarkis au début de la même année, les deux films Au commencement l’entrée (4 min) et Au commencement l’aura (3 min 50 s) viennent d’enrichir les collections du musée grâce au don très généreux de l’artiste. Réalisés avec vingt-trois autres lors de son séjour à l’Atelier Calder en 1997-1998, ces films peuvent être considérés comme un fervent hommage aux deux célèbres panneaux de la prédelle du retable de Mantegna pour la basilique San Zeno de Vérone, Le Christ au jardin des Oliviers et La Résurrection, présents à Tours depuis 1806. Le terme d’hommage, cependant, leur convient assez mal. Bien loin de se cantonner au domaine onctueux de la déférence, ils sont plus justement, par la majesté et l’intimité du rituel qu’ils instaurent, la manifestation d’un passage, d’une transmission. L’ouverture sonore du bronze frappé, le choix des musiques de Giya Kancheli et de György Kurtàg, surtout l’apparition de la couleur portée par le pinceau à la surface de l’eau, autant de résonances avec les œuvres de Mantegna dont la grâce répond à cet appel solennel et secret. Évocation dynamique d’une présence irreprésentable. La proximité physique des panneaux et des films, loin de paraître incongrue et irrespectueuse, s’impose avec une sereine évidence, quasi musicale, accompagnant la contemplation au lieu de la perturber. Au risque d’une apparente grandiloquence, on voudrait soutenir que Sarkis, dont l’art et l’histoire personnels traversent les cultures, suggère ainsi à l’attention ravivée du visiteur toute l’épaisseur d’une mémoire qui, désembuée du pathos et de la nostalgie, fonde quelque chose qui ressemble à la fraternité. Il élargit à l’humanité un message que le peintre du Quattrocento ne pouvait concevoir que dans le cadre de son propre universalisme chrétien (1).
Paradoxalement pauvre en œuvres du XXe siècle, malgré la générosité de plusieurs artistes, au premier rang desquels Olivier Debré, le Musée des beaux-arts de Tours s’efforce de constituer un ensemble esthétiquement et historiquement cohérent, aidé en cela par de récents dépôts du Musée national d’art moderne (Debré, Vieira da Silva), des achats (Geneviève Asse, Peter Briggs) et des dons (Champion-Métadier, Buraglio, Lambert-Loubère). L’inscription sur nos inventaires des deux films de Sarkis est donc à ce titre un événement de première importance.
Il convient de préciser qu’à la demande du Musée du Louvre, l’artiste réalisa en 2002 un troisième film inspiré par la Crucifixion, panneau central de la prédelle de San Zeno, actuellement visible au château de Tours dans le cadre de l’exposition Sarkis organisée par Images au Centre.

(1) Ceci écrit en songeant à la remarque d’une psychanalyste s’intéressant aux travaux d’Aby Warburg et qui, reçue au musée à l’occasion d’un colloque, après m’avoir fait part de son admiration pour la qualité exceptionnelle de la peinture, ajouta, comme pour corriger son enthousiasme : « Évidemment, il y a le sujet !.. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°204 du 3 décembre 2004, avec le titre suivant : Philippe Le Leysour, Conservateur en chef du Musée des beaux-arts de Tours

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