Autriche - Musée

Ouverture de la collection Heidi Horten à Vienne

VIENNE / AUTRICHE

Le nouveau lieu qui accueille la collection Heidi Horten, rassemblant sept cents œuvres d’art moderne et contemporain, a ouvert en juin dans la capitale autrichienne.

Le Palais Goëss-Horten de Vienne en Autriche abrite la collection Heidi Horten. © Photo Rupert Steiner
Le Palais Goëss-Horten de Vienne en Autriche abrite la collection Heidi Horten.
© Photo Rupert Steiner

Vienne (Autriche). À deux pas du Ring de Vienne, entre l’Opéra et l’Albertina, le palais désormais baptisé Goëss-Horten accueille depuis le mois de juin la collection de la milliardaire Heidi Horten, décédée quelques jours après l’inauguration. Impossible de rater ce nouveau lieu étant donné son emplacement central. Son échelle intime ne découragera pas non plus les touristes fatigués ne voulant rien manquer, et surtout pas ce qu’ils auront peu ou pas vu ailleurs : des Chagall, des Magritte, des Fontana, des Lichtenstein, des Baselitz, des Bacon, des Basquiat, des Twombly… « Cette collection est un plus considérable pour la scène muséale viennoise, explique Agnès Husslein-Arco, directrice du lieu, car beaucoup d’artistes qui y sont largement représentés ne le sont que superficiellement dans les collections autrichiennes. » Pour autant, il ne faudra pas s’attendre à tout voir dès la première visite : c’est au compte-goutte que seront montrées les œuvres de la collection, au rythme d’expositions hors des sentiers battus, comme « Look » qui, à partir de cet automne, confrontera les œuvres d’artistes travaillant sur le vêtement et l’accessoire aux robes de haute couture de Heidi Horten. « Cette collection offre de nombreuses possibilités d’expositions, précise la directrice, je n’en connais pas d’autres semblables. »

Une collection aux origines controversées

Qui était cette collectionneuse d’art ? Heidi Horten a porté plusieurs noms, au gré de ses mariages. Mais c’est surtout sous celui de Horten, son premier mari, qu’elle est connue – pour le meilleur et pour le pire. Le couple s’est rencontré en 1960, elle avait 19 ans, et il était de trente-trois ans son aîné. Helmut Horten avait fait fortune à la fin des années 1930 en rachetant à bon prix des entreprises détenues par des Juifs, dans le cadre de la politique d’aryanisation du IIIe Reich. Les œuvres auraient-elles ainsi été acquises avec de l’argent sale ? Des accusations se sont faites de plus en plus insistantes à mesure que la collection Heidi Horten sortait de l’ombre. La collectionneuse a dû mandater, l’année dernière, un historien pour qu’il se penche sur les faits. L’indépendance scientifique de l’historien fut même fixée par contrat. Il ressort de l’étude que Helmut Horten était un chef d’entreprise sans scrupule ni éthique, pour qui les affaires passaient avant tout, mais qu’il fut relativement honnête dans ses transactions. Et que s’il était membre du parti nazi, c’était plus pour les avantages procurés que pour soutenir une idéologie. Il a d’ailleurs continué à entretenir des relations commerciales avec des Juifs, voire à en employer, malgré l’interdiction – il en paya le prix et fut emprisonné quelques mois par le régime nazi. Après la guerre, il fut jugé par les alliés et passa deux ans en camp d’internement avant d’être libéré, faute de charges. À sa sortie, entre les dégâts causés par les bombardements et la dévaluation du mark, il était presque ruiné. Il parvint cependant à reconstruire un empire commercial avant de s’exiler fiscalement à la fin des années 1960.

À sa mort en 1987, Helmut Horten laisse une fortune estimée à près d’un milliard de dollars à sa femme – un capital qu’elle triple par la suite. Le couple n’a pas d’enfants et elle doit réinventer sa vie. « Si vous voulez mon avis, avance Agnès Husslein-Arco, qui fut aussi une amie de longue date de la collectionneuse, elle voulait se couper de son passé et regarder vers l’avenir. » La milliardaire décide alors de redécorer la villa du Wörthersee et d’y accrocher « de belles toiles ». On lui conseille de se rapprocher d’Agnès Husslein-Arco, dont elle connaît la famille. Car des murs à recouvrir, elle en possède désormais des kilomètres et sur deux continents !

Un musée pour la postérité

Agnès Husslein-Arco qui a étudié l’histoire de l’art travaille alors pour Sotheby’s et, en 1996, Heidi Horten achète à Londres trente-quatre œuvres d’art moderne pour un total de 22 millions de dollars. C’est le début d’une collaboration étroite qui mènera à la création d’une des plus originales collections d’art privées. Originale parce que Heidi Horten achetait « avec ses tripes », selon les mots de la directrice. « Heidi n’avait pas vraiment de culture artistique, elle se laissait guider par ses émotions, explique-t-elle. Mais elle avait l’œil ! » Pendant près de trente ans, les deux femmes travaillent ensemble : devant les catalogues de ventes aux enchères, Agnès propose, oriente, explique ; Heidi décide et achète. « Cette collection est un travail d’équipe », révèle celle qui l’a modelée dans l’ombre, s’efforçant de créer un parcours à travers l’histoire de l’art des XXe et XXIe siècles.

Sentant sa fin proche, en 2019, Heidi Horten demande à son amie de lui créer un musée – conçu par le cabinet d’architectes viennois The Next Enterprise –, afin que la postérité puisse « ressentir le bonheur que ces œuvres [lui] ont procuré dans la vie ». Son inauguration a lieu vingt-deux mois plus tard, le 3 juin dernier. Heidi Horten décède neuf jours après. Aujourd’hui, les œuvres et le musée sont la propriété de la Fondation Heidi Horten, dont le fonctionnement est assuré pour des générations « grâce à un fonds d’investissement à revenus réguliers, entre autres » (*), explique Agnès Husslein-Arco.

Précisions

(*) Les œuvres et le musée sont la propriété de la Fondation Heidi Horten, créée par la collectionneuse pour garantir l’existence du musée pour les générations à venir.

Palais Goëss-Horten,
Hanuschgasse, 3, 1010 Vienne, Autriche, hortencollection.com

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°594 du 9 septembre 2022, avec le titre suivant : Ouverture de la collection Heidi Horten à Vienne

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