Le Musée des lettres et manuscrits vient d’inaugurer son nouveau siège
dans un hôtel particulier du boulevard Saint-Germain, à Paris.
PARIS - Préemptée par les Archives nationales de France le 5 mai dernier, la Lettre de Turgot à Louis XVI mise en vente chez Piasa, à Paris, illustre à merveille la classe de documents convoités par Gérard Lhéritier. Président-fondateur d’Aristophil, société comptant près de 8 000 adhérents et œuvrant pour « le développement, le mécénat et la sauvegarde des lettres et des manuscrits », Gérard Lhéritier est un collectionneur jovial, passionné par l’histoire de France et son patrimoine écrit. L’inauguration en 2004, rue de Nesle à Paris, du Musée des lettres et des manuscrits donne à la société un lieu pour exposer ses plus beaux trophées. Aujourd’hui riche de 70 000 documents, l’institution privée a quitté la rue de Nesle pour un hôtel particulier cossu du boulevard Saint-Germain (7e arr.) qu’elle partage avec la société Aristophil et l’une de ses productions, la revue littéraire bimestrielle Plume.
Réparti sur deux étages, le musée fait la part belle aux expositions temporaires, auxquelles le rez-de-chaussée est intégralement dévolu. Au sous-sol, l’accrochage n’a de permanent que le nom : pour épargner les feuilles fragiles par essence, les vitrines, dont une consacrée aux acquisitions récentes, évolueront régulièrement. Le visiteur est invité à découvrir les collections le long de thèmes fédérateurs : l’histoire (de France), les sciences, la musique, la littérature et les arts. Si exposer des missives et des documents cryptiques peut se révéler périlleux, la scénographie signée Véronique Dollfus est particulièrement riche en indications biographiques et, comble du luxe, les bornes multimédias offrent la possibilité d’observer chaque lettre à la loupe – et surtout d’écouter une lecture de missives souvent difficile à déchiffrer.
Pièces emblématiques
Couvrant plusieurs siècles, les collections étonnent par l’abondance de leurs pièces emblématiques : la Déclaration aux Français rédigée par Louis XVI peu avant sa fuite à Varenne, missive perdue lors de la Révolution puis retrouvée et achetée l’an dernier auprès d’un collectionneur américain pour deux millions d’euros ; l’ordre dactylographié de cessez-le-feu du général Eisenhower daté du 7 mai 1945 ; le manuscrit d’Albert Einstein présentant des schémas et calculs sur la théorie de la relativité ; et bien entendu le manuscrit du Manifeste du surréalisme (1924), vendu à Paris par Sotheby’s en 2008 pour près de 1,9 million d’euros.
Une curieuse sensation d’intimité naît de la découverte des notes d’Edison, figurant des esquisses maladroites d’ampoules, des quelques notes de musiques apposées sur une partition par Mozart, ou encore du poème écrit à la va-vite par Édouard Manet – des rimes sans doute adressées à Henri Rouart et dotées, en guise de conclusion, d’une ravissante tête de chat blanc et noir.
Pour éviter la monotonie, l’accrochage est rythmé par quelques tableaux et objets intrigants, comme la machine à écrire Enigma utilisée par les nazis pour coder leurs messages pendant la Seconde Guerre mondiale, ou un exemplaire relativement abîmé d’une boule de Moulins qui raconte l’imagination de la population pour communiquer au cours du siège de Paris en 1870. Force est de constater que la qualité et l’exigence sont au rendez-vous. Ouvert à la consultation pour les scientifiques, prêtant volontiers ses pièces dans le cadre d’expositions temporaires, le Musée des lettres et manuscrits est une initiative privée qui vient compléter l’action des Archives nationales de France et de la Bibliothèque nationale de France.
Constituée essentiellement de deux collections particulières récemment acquises par la société Aristophil, l’exposition inaugurale du Musée des lettres et des manuscrits rend hommage à Marcel Proust et à son chef-d’œuvre absolu, À la recherche du temps perdu. Premier ensemble : celui d’André Maurois, l’académicien auteur de Climats et biographe de Proust, et de son épouse Simone de Cavaillet, la fille d’amis de l’auteur de la Recherche (elle est à l’origine du personnage de mademoiselle de Saint-Loup).
Second ensemble : celui de Suzy Mante-Proust, nièce de l’écrivain. Comme l’explique la commissaire Estelle Gaudry, « cette riche correspondance autorise un cheminement coloré au cœur des grandes étapes de la Recherche. » Plus de 150 documents articulés de manière chronologique offrent aux néophytes une introduction bienvenue au monde proustien et ne pourront que satisfaire les fanatiques de l’écrivain. Car nombreux sont les documents inédits qui viendront étoffer la bibliographie déjà foisonnante sur Marcel Proust.
« Proust, du temps perdu au temps retrouvé », jusqu’au 29 août. Catalogue, coédité par le musée et les éditions des Équateurs, 160 p., 28 euros, ISBN 978-2-8499-0151-9
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Missives et merveilles
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Abonnez-vous dès 1 €MUSÉE DES LETTRES ET MANUSCRITS, 222, boulevard Saint-Germain, 75007 Paris, tél. 01 42 25 01 87,www.museedeslettres.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-20h.
Catalogue des collections, Lettres et manuscrits, petits et grands secrets, coédité par le musée et Flammarion, 304 p., 515 ill., 30 euros (version brochée), 39 euros (version reliée), ISBN 978-2-0812-4448-1
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°325 du 14 mai 2010, avec le titre suivant : Missives et merveilles