« Ceci est une terre de religion ; il ne faut jamais plaisanter avec les croyances éteintes ; car rien ne meurt, prévient un vieux monsieur vêtu de noir, un livre sous le bras.
Nous sommes, monsieur, chez les druides, respectons leur foi ! » Et le vieil homme de conter à Guy de Maupassant l’histoire de l’enchanteresse Koridwen, mère des korrigans. C’est par ce récit que l’écrivain entame, dans ses Carnets de voyage, son périple en Bretagne, qui le conduit de Vannes à Douarnenez par la côte ; jusqu’à cette dernière légende, la plus terrible, sur la disparition de la cité d’Ys. Selon celle-ci, Gradlon, un roi bon mais faible, avait une fille perverse qui faisait tuer les hommes après s’être offerte à eux. Si perverse que tous les habitants se mirent à l’imiter, jusqu’à ce que la fureur divine s’abatte sur la ville et l’engloutisse sous les vagues. Dans cette version bretonne de Sodome, le roi dut repousser sa fille Dahut, dans sa fuite, pour sauver sa propre vie, un épisode peint en 1884 par Évariste-Vital Luminais (Musée des beaux-arts de Quimper). Telle fut « la volonté de Dieu », selon saint Guénolé.
Mâkhi Xenakis ne plaisante pas avec les croyances éteintes. Fille de Iannis Xenakis (1922-2001), compositeur grec nourri de mythes antiques, auteur de La Légende d’Eer (un héros revenu d’entre les morts), elle sait mieux que personne que « rien ne meurt ». Invitée avec le plasticien et musicien Zad Moultaka à exposer cet automne au domaine de Kerguéhennec, l’artiste s’est inspirée de la légende d’Ys et de la croyance selon laquelle la princesse, devenue sirène, hanterait aujourd’hui encore les fonds marins. Elle en donne une représentation, un corps et un visage, dans la cour extérieure de la bergerie. Femme-colonne en ciment armé de près de 2 m, Dahut se dresse droite comme un « i ». Lointaine sœur des Folles d’enfer, que l’artiste a exposé en 2004 dans la chapelle de la Salpêtrière, La Princesse d’Ys (2023) fait face au déluge. Recouvert d’écailles, comme autant de ces seins qui firent chavirer les amants perdus, son corps bleu turquoise évoque la couleur de l’Atlantique. Mâkhi Xenakis a placé autour de son cou une clé rouge sang, celle des digues qui cédèrent sous les vagues déchaînées.
Derrière la princesse, dans l’espace d’exposition du domaine de Kerguéhennec, c’est le déluge ; un déluge de dessins à l’encre, déferlement de vagues et d’écume, équivalentes à celles qui menaçaient Mâkhi et son père lors de leurs sorties en kayak, l’été en Corse – un « spectacle fantastique ! » pour son père. Au centre des vagues surgit un œil, celui de Dahut. Un motif omniprésent dans le travail de Mâkhi Xenakis. Il lui rappelle cet œil gauche que son père perdit en Grèce, en 1945, lors de la guerre civile. Comme toujours chez l’artiste, la mythologie personnelle n’est jamais loin des légendes universelles qui, toutes, forment un même univers.
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Mâkhi Xenakis
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°764 du 1 mai 2023, avec le titre suivant : Mâkhi Xenakis