Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci... Mâkhi Xenakis.
Fétiche - « Cette boîte à chaussures m’a été offerte par Louise Bourgeois. Pour comprendre pourquoi j’y tiens tant, il faut que je raconte un peu ma vie, en particulier un épisode déterminant qui a tout changé », explique Mâkhi Xenakis, avec sa voix douce et son sourire de petite fille. Si bien qu’on a du mal à imaginer qu’elle a commencé sa carrière il y a plus de trente ans ! « Ma rencontre avec Louise – c’est ainsi qu’elle appelle, avec tendresse, l’artiste américaine –, a été capitale, poursuit-elle, émue. Je venais de m’installer à New York avec mon mari, un scientifique qui s’était vu proposer un poste dans un laboratoire prestigieux. J’étais complétement perdue. Je dessinais depuis l’enfance, mais mon père, compositeur, souhaitait que je devienne mathématicienne, alors que je n’étais pas douée pour cela. Ma mère, auteure, ne m’encourageait pas non plus à être artiste. Bref, j’ai fini par faire des études d’architecture et, grâce à ma rencontre avec le metteur en scène Claude Régy, j’ai pu réaliser des décors et des costumes pour le théâtre. Un compromis pas totalement satisfaisant. Une fois l’océan Atlantique franchi, et bien qu’ayant obtenu une bourse de la Villa Médicis hors les murs, je suis tombée en grave dépression. Avais-je le droit de devenir une artiste à part entière ? Telle était la question qui me taraudait. »
S’ensuit pour Mâkhi Xenakis la découverte, par hasard, du travail de Louise Bourgeois, encore peu connue, comme elle le raconte en détail dans son dernier livre récemment paru aux éditions Actes Sud. « Il y avait quelque chose de très fort et d’essentiel dans son travail qui faisait écho en moi. Je lui ai téléphoné afin de la rencontrer. Elle m’a répondu un peu sèchement : « Pourquoi vous verrais-je ? » Je me suis entendue lui dire : « Vous pouvez me sauver la vie ! » Cela l’a suffisamment interloquée pour qu’elle accepte de me recevoir. Je lui ai apporté de minuscules dessins récents, car je ne me reconnaissais plus dans mon travail précédent de peinture. Elle les a appréciés et m’a alors encouragée avec sa façon abrupte et sans concession de s’exprimer. On a parlé six heures d’affilée ! Et nous sommes devenues très proches. On s’est vu régulièrement. Devant mon travail, elle disait : « Il faut que j’aie un choc ! ». Et Mâkhi de poursuivre : « Un jour, Louise trouva que mes motifs ressemblaient à des araignées. Elle n’avait pas encore réalisé les siennes, ses fameuses sculptures géantes. »
Lorsque, au bout de deux ans passés à New York, Mâkhi lui annonce qu’elle rentre à Paris, Louise eut une étrange réaction : « Après m’avoir violemment engueulée, elle m’a offert cette boîte, contenant ses propres chaussures que je garde, depuis, précieusement. » À l’intérieur : une paire de mocassins noirs en cuir tressé, taille 36. Mâkhi, qui chausse du 38, les a héroïquement portés pour se rendre au vernissage de sa propre exposition. Puis, rentrée à Paris, elle a posé la boîte sur son bureau. Quelque temps plus tard, elle crut découvrir, sur un de ses côtés, peinte par l’artiste, une « femme maison », un autre des thèmes favoris de Louise Bourgeois. « Elle faisait souvent des cadeaux cachés… » La relation entre les deux femmes s’est poursuivie durant une vingtaine d’années. Elle a permis à Mâkhi Xenakis d’aller au bout de ses obsessions, de réaliser de nombreuses séries faisant écho à ses émotions les plus intimes. Car ses dessins au crayon, au pastel, à l’aquarelle ou à l’encre, représentant ses propres araignées, méduses, fleurs sous-marines ou orifices palpitants, se prêtent à toutes sortes d’interprétations métaphoriques, renvoyant aussi bien aux mythes anciens qu’à son histoire personnelle. Comme elle le souligne : « Je remercie Louise, car ces chaussures ont été mes bottes de sept lieues ! »
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La boîte à chaussures de Mâkhi Xenakis
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°714 du 1 juillet 2018, avec le titre suivant : La boîte à chaussures de Mâkhi Xenakis