Les trésors de la collection Wernher seraient vendus aux enchères dans l’espoir de sauver Luton Hoo, l’une des plus belles demeures de Grande-Bretagne, si les héritiers sont contraints de rembourser un prêt de 21 millions de livres sterling.
LONDRES - Le château de Luton Hoo est situé à cinquante kilomètres au nord de Londres, dans le Bedfordshire. Dessiné par Robert Adam en 1767, il fut, en 1903, considérablement remanié par sir Julius Wernher, le "roi du diamant". Luton Hoo abrite la superbe collection qu’assembla sir Julius entre 1876 et sa mort, en 1912. La collection Wernher – objets d’art décoratif gothique et Renaissance –, regroupe des bronzes, des ivoires, des émaux, des céramiques et de l’argenterie. Le château est également célèbre pour ses précieux meubles français et ses tapisseries des Gobelins. La collection de la famille comporte des pièces russes de valeur, qui proviennent de la dot de Zia, arrière-petite-fille du tsar Nicolas Ier, épouse de Harold Wernher, fils de Julius.
Luton Hoo a été, ces dernières années, le théâtre d’une série de tragédies. Il y a quatre ans, Nicholas Phillips, l’arrière-petit-fils de sir Julius, âgé de quarante-trois ans, a été retrouvé mort dans sa voiture, empoisonné par les gaz d’échappement. La mort a été déclarée accidentelle, bien que l’hypothèse d’un suicide reste plausible, car Phillips avait de graves problèmes financiers, ayant investi 100 millions de livres (850 millions de francs) dans un centre commercial à l’entrée de son domaine.
Après le décès de Phillips, des banques scandinaves intentèrent un procès pour récupérer un prêt de 21 millions de livres (soit 180 millions de francs environ). Les héritiers ont fait appel de la décision et l’on attend sous peu le jugement. Si les héritiers perdent ce procès, l’avenir de Luton Hoo sera gravement compromis, car ils seraient alors obligés de vendre une grande partie des trésors artistiques de la collection Wernher, voire même le château.
En 1980, les administrateurs de la collection Wernher durent vendre, à la National Gallery de Londres, le Christ prenant congé de sa Mère d’Altdorfer. Bien que le prix n’ait pas été divulgué, il aurait largement dépassé le prix record atteint par un Turner, adjugé 2,7 millions de livres (soit 23 millions de francs). La collection de tableaux comprend encore un tableau exceptionnel, peint en 1470 par l’artiste espagnol Bermeho, Saint-Michel et le Dragon, et des œuvres de Memling, de Lippi, Titien, Rubens, Hals, Metsu et Reynolds.
Il y a deux ans, la vente d’une commode française rapportait à la Fondation 600 000 livres (5 millions de francs), un Claude Lorrain Crique boisée en Méditerranée au coucher du soleil, 220 000 livres (soit 1,9 million de francs environ). Le 9 juin dernier, chez Christie’s à Londres, ont été vendues des céramiques d’une valeur de 1,51 million de livres (13 millions de francs), dont une paire d’aiguières de porcelaine violet sombre, qui ornaient le cabinet de Marie-Antoinette au château de Versailles, vendues 950 000 livres (8 millions de francs) (JdA n° 5, juillet). Quelques semaines auparavant avait eu lieu une vente de mobilier du XVIIIe siècle et d’art décoratif, qui avait rapportée 500 000 livres (4,3 millions de francs).
Crise financière
Une partie des trésors artistiques de Sir Julius reste la propriété de la famille, et non de la fondation. Lucy Phillips, veuve de Nicholas, et les exécuteurs testamentaires avaient mis en vente le tableau de Constable, Le pont d’Harnham en direction de la cathédrale de Salisbury, chez Sotheby’s, le 18 novembre 1992, estimé à 1 million de livres (8,5 millions de francs environ), mais la mise à prix n’avait pas été couverte. La famille se bat pour entretenir Luton Hoo et le rendre viable.
Les comptes financiers communiqués par la Fondation Luton Hoo, qui administre le château, révèlent l’étendue de la crise financière. La visite du château avait rapporté 286 000 livres sterling (soit 2,5 millions de francs environ) en 1990, 118 000 livres en 1992 (soit 1 million de francs environ). La fréquentation a encore diminué, et l’on table sur 18 000 entrées cette année. Les frais d’exploitation s’élèvent à plus de 100 000 livres par an (soit 850 000 francs environ). Les pertes annuelles de la Fondation Luton Hoo s’élèvent à près de 300 000 livres (2,6 millions de francs environ). D’où la décision de vendre des pièces de la collection. "Il est bien évident que les ventes sont regrettables, mais il n’y a pas d’autre solution.
Il se peut que nous soyons obligés de vendre d’autres objets, cela dépendra de nos revenus", reconnaît Sir David Butter, président du conseil d’administration.
Mais la dispersion progressive de la collection Wernher ne cesse d’être inquiétante. Qu’arrivera-t-il si les banques scandinaves gagnent leur procès contre la famille ? "Nous sommes inquiets" a déclaré Georgina Nayler, directrice du National Heritage Memorial Fund. "L’idée que l’on puisse vider de son contenu l’un des grands châteaux du pays ne peut nous laisser indifférents."
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Luton Hoo et la collection Wernher
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : Luton Hoo et la collection Wernher