Italie - Restitutions

L’Italie veut récupérer ses trésors

« Nous souhaitons éviter autant que possible les conflits », déclare Mario Bondioli Osio

Par David d'Arcy · Le Journal des Arts

Le 19 juin 1998 - 1346 mots

Le patrimoine est une des principales richesses de l’Italie, qui est donc particulièrement attachée à la restitution des œuvres d’art dérobées pendant la dernière guerre ou illégalement exportées hors du pays. C’est au nom de ces considérations que Mario Bondioli Osio, président de la commission interministérielle chargée de la récupération des œuvres d’art et des biens culturels, coordonne son action.

NEW YORK (de notre correspondant) - L’Italie intensifie ses efforts auprès des États-Unis afin de récupérer les objets culturels prétendument pillés, volés ou sortis illégalement de son territoire. Cet été, le Wadsworth Atheneum de Hartford, dans le Connecticut, va rendre à l’Italie un tableau du maniériste tardif Jacopo Zucchi, Bethsabée au bain (1570), acheté en 1965. Cette toile avait été volée en 1945 à l’ambassade italienne de Berlin, où il était déposé en prêt depuis 1908 par la Galerie nationale du palais Barberini. En échange, le gouvernement italien a envoyé à Hartford l’exposition “Le Caravage et les Caravagesques de la collection de la Galerie nationale d’art ancien de Rome”, visible jusqu’au 26 juillet (lire JdA n° 59, 24 avril). Pour que l’accord soit conclu, une somme de 50 000 dollars (300 000 francs) devait être versée afin de financer l’exposition : elle a été rassemblée par des Italo-Américains de Hartford, en complément de la participation financière de l’Italie à l’événement.

En dehors de cet arrangement à l’amiable, plusieurs réclamations italiennes visant des particuliers ou des institutions américaines restent en suspens. L’Association américaine des musées vient ainsi de faire appel d’une décision de la Cour fédérale, rendue en no­vembre 1997, qui confirmait la saisie par les Douanes américaines d’une fiole antique sortie en fraude d’Italie et achetée 1,2 million de dollars (7,2 millions de francs), en 1992, par le collectionneur Michael Steinhardt, par l’intermédiaire du marchand new-yorkais Robert Haber (lire page 18). Les Italiens ont également identifié des antiquités qui auraient été exhumées au cours de fouilles illégales et actuellement en possession du diamantaire Maurice Tempelsman et du Metropolitan Museum of Art.

Mario Bondioli Osio, président de la commission interministérielle chargée de la récupération des œuvres d’art et des biens culturels, a répondu à nos questions, lors de son passage à Hartford.

Quelle a été l’importance de l’exposition “Le Caravage et les Caravagesques” dans le règlement de la restitution du Zucchi ?
C’est à mon avis un précédent qui servira d’exemple. Nous souhaitons éviter autant que possible les conflits et coopérer, dans l’intérêt de la culture, car je pense que les œuvres d’art doivent se trouver dans leur cadre original afin de pouvoir les apprécier. Chacune a sa propre personnalité, c’est donc un acte de respect que de la rendre à son lieu d’origine.

Pourquoi cette restitution s’est-elle fait attendre ?
J’imagine que pour le directeur du Wadsworth Atheneum, Peter Sutton, la séparation d’avec un tel chef-d’œuvre était douloureuse. Nous avons dû recourir à une procédure pour amener le comité directeur à comprendre la justesse de cette décision.

L’Italie n’avait-elle pas déjà essayé, en vain, de récupérer le Zucchi et d’autres œuvres ?
Aborder le problème d’un point de vue légal, c’est se méprendre sur l’objectif de toute l’entreprise : il y aura inévitablement un gagnant et un perdant, une situation que nous voulons éviter. Mais si on le traite sur une base culturelle, on aboutit à une solution où tout le monde gagne. Nous souhaitons donc coopérer.

Espérez-vous trouver un accord amiable avec Michael Steinhardt ?
Non, car cette affaire est malheureusement déjà entre les mains de la justice. Et si nous perdons, la culture en sera la première victime. Pour la première fois, un juge américain reconnaissait la loi italienne sur les trouvailles archéologiques. Ce qui est à mes yeux très important. Nous regrettons qu’aucune solution n’ait pu être trouvée.

L’Association américaine des musées a pris parti pour Michael Steinhardt.
Seulement après de longues discussions, et d’après ce que j’ai entendu dire, pas à l’unanimité.

Vous êtes-vous surtout soucié des tableaux et objets italiens se trouvant aux États-Unis, plutôt que des œuvres dispersées dans d’autres pays ?
Pas vraiment. Je suis en contact avec les musées français, et en pourparlers avec les Allemands. Nous sommes sur le point de conclure un accord portant sur neuf toiles de Sebastiano Ricci, exécutées pour le plafond du palais Mocenigo et actuellement conservées à la Gemäldegalerie de Berlin. Elles avaient été achetées par des hauts fonctionnaires fascistes italiens pour le grand musée que Hitler voulait édifier à Linz. Quand la Douma russe aura voté une loi et qu’elle sera signée par le président Eltsine, nous espérons pouvoir aussi entreprendre les Russes et vérifier s’ils possèdent des objets qui nous reviennent. Ces œuvres ont été perdues il y a cinquante ans, nous ne sommes pas pressés.

Combien manque-t-il encore d’objets ayant quitté l’Italie pendant la guerre ?
Quitté ? Nous ne savons même pas s’ils ont quitté le pays ! Peut-être ont-ils été détruits. Un catalogue préparé par mon prédécesseur pendant les années soixante-dix, et publié seulement en 1995, recense 2 500 objets, classés en 1 500 rubriques. Comme nous n’avons que 280 photos, il est parfois difficile de les identifier. Toutefois, en Allemagne, nous avons pu reconnaître un tableau dont nous n’avions pas la photo.

Votre commission s’en prend aussi à Maurice Tempelsman, à New York, qui a acheté, en Suisse, à un marchand londonien, des antiquités pillées en Sicile. Cela signifie-t-il que vous n’avez pas seulement autorité pour récupérer les objets dérobés pendant la Seconde Guerre mondiale mais aussi pour les antiquités pillées par les Italiens et ensuite vendues au marché noir ?
Ce n’est qu’en décembre de l’année dernière que les ministres des Affaires étrangères et de la Culture ont étendu mon autorité. Maurice Tempelsman ou tout autre collectionneur ou musée américain ne sont pas à nos yeux impliqués dans des affaires criminelles. Ce sont des amoureux de l’art que nous voulons traiter comme tels, et non attaquer pour leur passion. Nous agissons de part et d’autre dans l’intérêt de la culture et l’amour de la beauté. Nous respectons donc le désir de Maurice Tempelsman de posséder de beaux objets et admettons qu’il ne le fait pas dans un but criminel. Nous voulons cependant qu’il les rende à leur propre histoire, parce qu’ignorer l’origine d’un objet, c’est aussi ignorer sa signification historique. Ce n’est pas son propriétaire qui importe, mais sa signification dans l’histoire culturelle. Nous savons que notre patrimoine culturel et artistique est notre seule ressource naturelle. Nous n’avons ni charbon ni fer. Nous n’avons pas de mines non plus. Mais nous possédons une immense richesse culturelle que nous essayons d’utiliser au mieux pour les touristes, la culture... Ce legs de nos ancêtres, nous essayons de le transmettre aux générations suivantes.

Les musées américains envisagent comme solution possible un processus d’arbitrage qui leur permettrait de garder des objets en leur possession, et qui pourraient être réclamés par l’Italie, contre certaines compensations, par exemple un pourcentage sur la valeur marchande actuelle de ces objets. Exigerez-vous que tous les objets réclamés par l’Italie retournent dans votre pays ou accepterez-vous de négocier ?
Il est certainement possible d’envisager des négociations. Tout exiger serait absurde. Nous pouvons évidemment imposer le rapatriement des objets emportés d’Italie après la Seconde Guerre mondiale. Mais la restitution des objets à leur lieu d’origine doit avoir une limite dans le temps, que l’on peut repousser jusqu’à la fin des années trente mais pas plus loin.

Pour le marchand new-yorkais Richard Feigen, la volonté récente des États-Unis de respecter les règlements italiens d’exportation, com­me dans le cas Steinhardt, viole le droit constitutionnel d’un acheteur américain respectant la législation. Certains juristes américains, notamment ceux qui défendent les marchands d’art, prétendent qu’en échange de la coopération italienne pour la lutte contre la drogue en Sicile, le gouvernement américain aurait accepté les exigences culturelles italiennes.
C’est absurde. Je crois que le gouvernement américain agira selon ses propres convictions en la matière. Cette question relève d’un tout autre problème qui n’a rien à voir avec notre affaire. En ce qui concerne l’application des lois, tout dépend du gouvernement des États-Unis, et je serais étonné que celui-ci viole la constitution américaine.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°63 du 19 juin 1998, avec le titre suivant : L’Italie veut récupérer ses trésors

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