Musées français

Les produits dérivés ont le vent en poupe

Très prisés par les consommateurs, surtout au moment des fêtes de fin d’année

Le Journal des Arts

Le 1 décembre 1994 - 887 mots

L’exploitation commerciale des musées, qui permet de financer les expositions, d’enrichir et d’entretenir les collections, repose essentiellement sur la vente des livres d’art, catalogues, revues, posters et cartes postales. Mais les produits dérivés représentent aussi un marché florissant.

PARIS - Contrairement aux États-Unis, le développement de gammes de produits inspirés des expositions et des collections des musées est un phénomène relativement récent en France. La boutique de la Fondation Claude Monet à Giverny, dans l’Eure, et celle du Musée des arts décoratifs ont ouvert leurs portes dès le début des années quatre-vingt. Giverny refuse de divulguer le résultat de ses ventes, mais Artcodif, qui gère la boutique du Musée des arts décoratifs, réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires de 6 millions de francs sur 28 m2 seulement.

Paris-Musées, association loi 1901 qui exploite le patrimoine des musées de la Ville de Paris, n’a lancé sa première collection de produits dérivés qu’en 1989, à l’occasion de la célébration du bicentenaire de la Révolution. Son chiffre d’affaires est de 4 à 6 millions de francs, selon les années et les expositions. 1994 s’annonce plutôt bien, d’autant que Paris-Musées ouvre une quatrième boutique pour les fêtes.

Quant à la Réunion des musées nationaux (RMN), établissement public devenu établissement industriel et commercial en 1991, elle se taille la part du lion dans ce marché, avec 67 millions de francs pour l’exercice 1993 ( 13,3 % par rapport à 1992), dont près des deux tiers proviennent de la vente de bijoux et de cadeaux. Si ses ateliers de moulage et de chalcographie existaient déjà sous Colbert, la RMN propose depuis une dizaine d’années des articles plus audacieux. Avant, elle se contentait le plus souvent de reproduire à l’identique des sculptures ou des bijoux appartenant aux collections des trente-quatre musées nationaux, modifiant simplement leurs dimensions et leur matière, afin qu’ils ne puissent passer pour des originaux.

Puis, imitant les Américains, les conservateurs français ont fini par accepter, dans les années 1980-1990, la création "à la manière de", inspirée du modèle original. Ainsi, le créateur Yves Taralon a conçu pour le Musée d’Orsay des "objets dérobés", d’après des tableaux célèbres : parmi ceux-ci, la terrine du Déjeuner sur l’herbe de Manet, le Vase bleu de Cézanne, ou encore le verre de L’Absinthe de Degas. À Marmottan, musée privé, on trouve un affreux pin’s censé reproduire Impression soleil couchant de Monet ; le Musée d’art américain de Giverny vend même des sacs de graines pour reconstituer le célèbre jardin de l’artiste.

Jusqu’où peut-on aller dans la voie du mercantilisme ? La RMN sait qu’elle ne peut pas tout se permettre. Il y a deux ans, lors de l’exposition Toulouse-Lautrec, l’utilisation de la signature du peintre pour marquer une ligne d’articles d’un goût douteux – tee-shirts, assiettes... – a soulevé un tollé dans la presse. "La RMN a terni son image, mais cela s’est bien vendu", fait remarquer Jean-François Chougnet, directeur des services commerciaux. La Réunion des musées nationaux se tient toujours sur le fil du rasoir, entre le souci de rentabilité et le respect de certains principes. Elle s’interdit d’utiliser La Joconde, par exemple, pour illustrer sa ligne Louvre, composée entre autres d’articles de papeterie, de sacs et d’assiettes en carton.

Jean-François Chougnet estime en effet que "la mauvaise monnaie chasse la bonne. On n’aboutira jamais à la technique des produits dérivés classiques comme celle utilisée par Eurodisney avec le personnage de Mickey. Sinon, autant vendre des licences à des fabricants." Le choix des créneaux porteurs est subjectif : "Nous n’avons lancé aucun produit dérivé pour l’exposition Poussin. Cela ne convenait pas. Nous ne l’avons même pas proposé aux commissaires de l’exposition", précise Jean-François Chougnet.

L’ensemble des services commerciaux des musées s’efforcent de donner une "valeur ajoutée culturelle" à chaque article qu’ils diffusent : ils fournissent une fiche technique sur l’histoire, l’usage, la matière et le poids de l’objet original dont l’article a été inspiré, et/ou une note sur le parcours et la technique du créateur contemporain qui en est l’auteur. Ainsi les torchons "les Rois Louis et la gastronomie ", vendus par Paris-Musées, sont accompagnés d’un arbre généalogique.

En réalité, bien qu’ils y fassent toujours référence, les produits dérivés tendent à se développer en dehors des musées. Nul besoin d’avoir visité l’exposition "Aménophis III" au Grand Palais pour se procurer le foulard créé d’après le décor du plafond du tombeau du pharaon. Les catalogues de vente par correspondance (VPC) édités par la RMN touchent en effet une clientèle plus casanière, majoritairement féminine et provinciale. Dans un contexte général de crise, la VPC de la RMN affiche une forme insolente après quatre ans d’existence, avec un chiffre d’affaires de 13 millions de francs (en hausse de 127 % de 1992 à 1993). Une forte croissance qui semble se confirmer pour 1994, où l’on prévoit un chiffre d’affaires d’environ 20 millions de francs.

Paris-Musées et Artcodif n’éditent pas de catalogue VPC mais diffusent leurs produits dérivés en France et à l’étranger par le biais de licences concédées à des industriels. Le chiffre d’affaires de la boutique de Paris-Musées installée aux Halles a progressé de 40 % entre 1992 et 1993. Elke Germain-Thomas, directeur général d’Artcodif, souligne pour sa part que la boutique du Musée des arts décoratifs a "une clientèle très fidélisée, qui n’est pas forcément une clientèle de musée mais une clientèle de décoration de maison."

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°9 du 1 décembre 1994, avec le titre suivant : Les produits dérivés ont le vent en poupe

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