Effet (positif) de la crise, de nombreux musées, à Grenoble, Lyon, Bordeaux, Amiens ou Saint-Tropez, montrent cet été une partie de leur collection permanente, dans le cadre de leurs dernières acquisitions
ou d’un anniversaire. L’occasion pour le public de les redécouvrir…
Le temps où les musées ne juraient que par les expositions événements serait-il révolu ? Alors que leur cadence et leur coût sont de moins en moins soutenables, une tendance nouvelle se dessine : un regain d’intérêt pour les collections. Cet été, des structures de dimensions et de nature variées proposent ainsi des programmations 100 % maison qui confirment un changement de paradigme. Elles empruntent différentes stratégies : mise en lumière des enrichissements, relecture thématique d’un fonds ou encore refonte de l’accrochage.
Nos chères acquisitions
Hasard du calendrier, les deux grands établissements de Rhône-Alpes, les musées de Grenoble et de Lyon, passent au crible une décennie d’enrichissement. La période choisie coïncide avec l’arrivée de leurs directeurs, respectivement Guy Tosatto et Sylvie Ramond, et constitue l’occasion pour les responsables de dresser un bilan de leur mandat. Le Musée de Grenoble [14e au palmarès des villes moyennes] propose une exposition centrée sur les acquisitions modernes et contemporaines, tout en mettant en évidence au sein du parcours permanent les œuvres d’art ancien récemment entrées dans ses murs. La manifestation présente cent cinquante pièces majeures achetées ou reçues en don depuis douze ans. Le titre « De Picasso à Warhol » n’est pas totalement représentatif, car l’angle chronologique est plus large : « Mais il donne une idée de l’ambition du musée », précise son directeur. En effet, outre un rarissime collage épinglé de Picasso, quantité de pièces de premier ordre sont arrivées sous l’impulsion du conservateur. Le musée est de fait un des seuls en région à conserver un Warhol, mais aussi un vaste ensemble d’art minimal qu’un Ryman est encore venu renforcer. L’essentiel des grandes acquisitions est donc focalisé sur les XXe et XXIe siècles, le point fort de Grenoble. L’établissement a effectivement été pionnier sur les avant-gardes dès les années 1920, et a même été le premier musée français à posséder un Picasso. Depuis, conservateurs et maires ont misé sur ce domaine, faisant du lieu une référence. L’exposition montre donc les enjeux de ces enrichissements : combler les lacunes et consolider des ensembles significatifs comme les arts graphiques modernes, deuxième département de France après le Musée national d’art moderne. Il souligne aussi l’impact vertueux des collaborations avec des artistes contemporains. Plusieurs séries remarquables ont en effet été cédées à prix préférentiel dans la foulée d’expositions temporaires. L’enjeu de la manifestation est pluriel : procéder à un bilan, expliquer la démarche qui sous-tend les acquisitions et les légitimer dans une période de vache maigre. Le musée a été très soutenu par la précédente équipe municipale, qui avait considérablement augmenté ses crédits, et pour que cette tradition perdure il faut convaincre les nouveaux interlocuteurs.
« Il est essentiel de montrer qu’il est pertinent de continuer à acheter, que cela participe à la vitalité et au prestige du musée », résume Guy Tosatto. La formule retenue au Musée des beaux-arts de Lyon [4e au palmarès des grandes villes] s’inscrit davantage dans son parcours. Les conservateurs de tous les départements ont été mobilisés : antiquités, peintures, sculptures, objets d’art, arts graphiques, sans oublier le médaillier. « Nous l’avons pensé comme un événement pour montrer différemment nos collections que le public pense, à tort, connaître sur le bout des doigts », explique Stéphane Paccoud, conservateur en chef chargé des collections XIXe, qui ajoute : « Un musée n’est pas figé, il évolue constamment ; cette présentation est donc aussi une façon de restituer notre travail au public qui est très intéressé par ce qui se passe en coulisse. » Ce parcours s’appuie sur une signalétique reposant sur un code couleur variant en fonction des modes d’enrichissement : don, legs, dépôt, achat, dation. Il incite habilement à traverser l’intégralité du plus riche musée de région, mettant en exergue sa dimension résolument encyclopédique. À ce circuit s’ajoutent plusieurs focus, dont une sélection d’arts graphiques du XVIe au XXe siècle. Elle rassemble les cent plus belles feuilles entrées dans la collection, presque toutes inédites. La manifestation synthétise les grands axes de la politique du musée : représenter des artistes incontournables auparavant absents (Fragonard, Soulages) et conforter les atouts, dont la scène lyonnaise (Coysevox, Janmot, Orsel ou encore de Sermézy). Ce sont environ trois cent vingt pièces qui témoignent de cette dynamique proactive menée depuis 2004, et tout particulièrement depuis l’aventure de La Fuite en Égypte de Poussin. Le trésor national acheté 17 millions en 2008 a clairement marqué un tournant dans l’ampleur des acquisitions et la politique de mécénat, entraînant la création du Club du Musée Saint-Pierre et du Cercle Poussin. « Évidemment, c’est aussi une manière de remercier ceux qui nous soutiennent : élus, donateurs, artistes et mécènes », souligne Paccoud. « Et à l’heure où l’on sollicite la générosité du public, il est normal de rendre compte de la nécessité des enrichissements, de ce qui motive nos choix. » L’Arétin et l’Envoyé de Charles Quint d’Ingres, première œuvre pour laquelle une souscription publique a été lancée, est ainsi bien mise en valeur. Sans surprise, puisque le musée réitère actuellement l’opération pour rassembler 250 000 euros et s’offrir L’Homme au béret noir de Corneille de Lyon.
Réactiver les collections
La question de la valorisation se traduit également de plus en plus par une approche événementielle, il s’agit d’aiguiser la curiosité du public à travers des dispositifs novateurs. À Rouen, le Musée des beaux-arts [9e, villes moyennes] a été précurseur. En 2012, il instituait « Le temps des collections », un rendez-vous récurrent composé d’une série d’expositions dossiers venant animer le parcours permanent. Fort d’un succès populaire et critique, le projet prévu pour trois ans sera reconduit cet automne. Il gagne même en ampleur en englobant le Musée de la céramique. Dans le même esprit, le Musée des beaux-arts de Bordeaux [absent du palmarès] a instauré un nouveau genre d’exposition. Rouvert dans son intégralité fin 2013 après de longs travaux, il propose désormais des manifestations plus patrimoniales à partir de ses collections. « Il s’agit d’un cycle au long cours qui s’inscrit dans une réflexion globale », annonce Sandra Buratti-Hasan, conservatrice adjointe à la directrice. « Les scientifiques n’ont pas vocation à ne faire que des expositions blockbusters, ce n’est pas possible financièrement ni intellectuellement, car notre mission première est d’étudier et de diffuser notre collection. » Dans cette optique, l’institution dévoile des pièces choisies en fonction d’une thématique transversale, des œuvres majoritairement inconnues, car provenant pour beaucoup des réserves. En 2014, le musée proposait une relecture de ses fonds sous l’égide des orientalismes. Cet été, il présente une manifestation sur les liens entre Bordeaux et l’Italie : la fascination des peintres pour la péninsule, l’engouement des collectionneurs pour les sujets italiens et la formation des artistes français dans la Botte autour des Bordelais ayant décroché le Prix de Rome. Au sein des espaces d’exposition temporaire, le propos rassemble cent dix œuvres, toutes techniques confondues, pointant la richesse et la diversité du musée. On y découvre des photographies anciennes inédites, de beaux paysages signés Magnasco ou Codazzi, mais aussi quatre fresques peintes par Gaspard Dughet pour le palais romain du Bernin. Cette dynamique vertueuse devrait se poursuivre en 2016 avec une relecture de la collection La Caze, ensemble fondamental dans la constitution de l’institution.
Les musées raccrochent
Les expositions temporaires conçues à partir des fonds propres des musées ne constituent qu’une des cordes à leur arc pour dynamiser leurs collections. L’autre tendance massive est le réaccrochage, qui est souvent motivé par une occasion spéciale. Deux anniversaires donnent actuellement lieu à cette politique : les 60 ans du Musée de l’Annonciade à Saint-Tropez [83e, petites villes] et les 30 ans du Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart [21e, petites villes]. Pour souffler ses bougies, le premier braque les projecteurs sur ses chefs-d’œuvre : Seurat, Picabia, Vuillard, Matisse ou encore Delaunay. L’établissement fortement marqué par sa nature de musée d’amateur propose de redécouvrir ses trésors via un accrochage plus didactique et scientifique. À Rochechouart, la présentation a en revanche été confiée à deux artistes, Élodie Lesourd et Christian Falsnaes. Ils ont sélectionné des pièces maîtresses ayant pour sujet la notion d’habitat ou dialoguant avec l’architecture du musée, un château du XVe.
À Amiens, au Musée de Picardie [17e, villes moyennes], c’est un vaste chantier de collection qui offre l’occasion d’un réaccrochage historique. La majorité des œuvres montrées a en effet été remisée pendant près d’un siècle. Au XIXe, l’établissement avait été conçu comme le premier palais des arts aménagé spécifiquement pour abriter de grands formats de la peinture moderne. Grâce aux importants envois de l’État et aux achats inspirés de la ville, il jouit d’un grand prestige jusqu’à la Grande Guerre. Il fut alors bombardé et les œuvres victimes des intempéries furent roulées et placées en réserve. À sa réouverture, rares sont celles à avoir retrouvé une place sur les cimaises. Ces spectaculaires tableaux, qui avaient profondément marqué l’imaginaire des visiteurs par leur vision épique de l’histoire, étaient dorénavant considérés comme de grandes machines académiques n’ayant plus droit de cité. Le retour de flamme pour ce genre depuis quelques années, conjugué à la démarche volontariste de la ville et d’Olivia Voisin, jeune conservatrice des beaux-arts, ont changé la donne. Ces chefs-d’œuvre injustement oubliés regagnent progressivement leur écrin. Dans le Grand Salon, une partie de ce fonds restauré se dévoile. Grâce à Crignier, Boulanger ou encore Lepoittevin, le site retrouve son lustre d’antan et renoue avec son passé. Des pièces en attente de résurrection sont également montrées en l’état afin de sensibiliser le public et de potentiels mécènes. Il faut dire que l’établissement compte encore soixante toiles roulées. Une grande partie devrait être restaurée d’ici à 2018 pour prendre place dans les nouvelles salles du musée. Cet ensemble remarquable devrait également être enfin publié pour la circonstance.
Car la valorisation va souvent de pair avec une politique d’édition. Grenoble et Lyon viennent de mettre en ligne leurs collections et de publier de nouveaux guides de visite, ainsi qu’un catalogue raisonné des peintures françaises anciennes conservées à Lyon. Parallèlement, les Arts décoratifs de Paris [8e, grandes villes] ont numérisé leur exceptionnel fonds d’objets en verre et cristal à l’occasion d’une rétrospective fleuve sur le sujet ; la première depuis 1951 ! Enfin, publier peut aussi être un outil autonome de mise en valeur. Ainsi le Nord-Pas-de-Calais, qui porte officiellement le titre de « Région des musées », sort un ouvrage sur ses collections pour en démontrer l’étendue et en accroître encore la visibilité.
Le Palmarès des musées 2015 L’Œil-Le Journal des Arts a été établi sur 64 critères éprouvés. 360 musées ont répondu à l’enquête et 334 sont classés. L’intégralité des résultats est disponible sur le site Internet www.lejournaldesarts.fr
Les Arts décoratifs De Paris, 8e au palmarès des villes de plus de 200 000 habitants
« Trésors de sable et de feu. Verre et cristal aux arts décoratifs, XIVe - XXIe siècle », l’exposition
du musée réunit un ensemble exceptionnel de plus de 600 pièces de verre issues des réserves de l’institution parisienne. Le parcours chronologique va de la Renaissance à nos jours retraçant différents savoir-faire et métiers d’art, et révélant la richesse et la variété de la collection des Arts déco. Jusqu’au 15 novembre 2015.
www.lesartsdecoratifs.fr
Musée de l’Annonciade DE Saint-Tropez,83e au palmarès des villes de moins de 20 000habitants
« Le plus beaux des petits musées de France », l’exposition de l’Annonciade, fête les 60 ans du musée en présentant les chefs- d’œuvre de sa collection : de Seurat , Picabia, Vuillard, Bonnard, Matisse, Vlaminck, Delaunay, Rouault… tous les artistes de l’avant-garde des années 1890 à 1914 sont présents. Jusqu’au 19 octobre 2015.
Musée de Grenoble,14e au palmarès des villes de 20 000 À 200 000habitants
« De Picasso à Warhol, Une décennie d’acquisitions » entend montrer le dynamisme de l’institution grenobloise et la grande qualité de sa collection, tout en rappelant aux visiteurs qu’« un musée qui n’achète pas est un musée qui meurt ». Jusqu’au 31 août, www.museedegrenoble.fr
Musée de Picardie d’Amiens, 17e au palmarès des villes de 20 000 À 200 000habitants
« Histoires. Splendeur et misères d¹une collection redécouverte », le nouvel accrochage du Grand Salon du musée, veut faire redécouvrir la peinture d’histoire au XIXe siècle. Les tableaux, qui ont été restaurés, n’avaient pas été montrés pour certains depuis plus d’un siècle. Jusqu’au 31 avril 2016. www.amiens.fr/musees
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Les musées retrouvent leurs collections
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°681 du 1 juillet 2015, avec le titre suivant : Les musées retrouvent leurs collections