Art ancien

Le trésor de Toutânkhamon, la nouvelle "exposition du siècle" ?

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 21 janvier 2019 - 1918 mots

PARIS

En 1967, l’exposition du trésor de Toutânkhamon au Petit Palais avait attiré 1,2 million de visiteurs. Du jamais vu. Dans un peu plus d’un mois, voilà le trésor du pharaon de retour à Paris. Les enjeux ne sont plus les mêmes, le monde des expositions a évolué et le masque d’or de Toutânkhamon ne sera pas exposé cette fois.

Combien de temps faudra-t-il patienter dans la file d’attente pour admirer l’exposition « Toutânkhamon, le trésor du pharaon » à Paris ? Du 23 mars au 15 septembre, cent cinquante pièces du tombeau du jeune pharaon sont exposées à la Villette. En 1967, trente-deux pièces de ce trésor présentées au Petit Palais avaient attiré 1 241 000 de visiteurs en six mois et demi. Un record. Cette fois-ci, le masque de Toutânkhamon, point d’orgue du parcours, n’a pas pu faire le voyage. Trop précieux, trop fragile, ce chef-d’œuvre est désormais interdit de sortie du territoire égyptien. La contrepartie ? Vingt-cinq pièces de l’exposition de 1967 sont à nouveau du voyage et près de soixante autres – comme le pectoral en or de l’oiseau Ba qui ornait le corps du pharaon, une figurine d’Horus sous les traits d’un faucon solaire et un magnifique carquois orné de scènes de chasse – sortent d’Égypte pour la première et sans doute dernière fois, dans le cadre d’une tournée mondiale en dix étapes.

Si cette exposition exceptionnelle a pu être montée, c’est à la faveur du transfert du trésor de Toutânkhamon du musée actuel de la place Tahrir au nouveau Grand Musée du Caire – Grand Egyptian Museum (GEM), actuellement en chantier, au pied des pyramides de Gizeh. L’événement provoquera-t-il le même enthousiasme qu’il y a un demi-siècle ? À voir.

La France frappée de « toutankhamonite »

En 1967, nul ne s’attendait à un tel succès. Certes, l’exposition de Picasso au Petit Palais avait déjà attiré 800 000 visiteurs l’année précédente. Cela n’empêche : les organisateurs furent pris de court face à l’affluence des visiteurs. « Affolés, fourbus, épuisés, les responsables de l’exposition envisagent d’ores et déjà de prendre des mesures de salut public : par exemple de repousser à 22 heures l’heure de fermeture », lit-on dans France-Soir dès le lendemain de l’ouverture de l’exposition qui attire les foules. Les cartels doivent rapidement être refaits en grand format et placés au-dessus des vitrines pour pouvoir être lus de tous. Et l’exposition, dont la clôture était prévue pour le 15 juin, sera prolongée jusqu’au 4 septembre. Le prix d’entrée a beau être de 5 francs, soit le prix d’une place de cinéma, au lieu des 2,50 francs habituels, les curieux n’hésitent pas à prendre place dans les queues qui se forment quotidiennement sur l’avenue Winston-Churchill et les Champs-Élysées, et « à risquer un rhume, à risquer l’asphyxie, pour se pâmer devant le masque en or de Toutânkhamon », s’étonnent les journalistes de l’époque.

Qu’importe si les services de presse n’existent pas encore. Les journalistes annoncent l’événement avec une année d’avance, racontent le transport des œuvres depuis Le Caire et, surtout, s’enthousiasment face à la beauté et au raffinement de ces chefs-d’œuvre de la XVIIIe dynastie des pharaons. Le battage médiatique est intense et continu, et la France semble frappée de « toutankhamonite », s’amuse un journaliste du quotidien Le Monde. Les magazines vont jusqu’à donner les bonnes adresses pour se faire coiffer « à la pharaonne » ou prodiguer des conseils de maquillage. La Caisse d’Épargne a même l’idée d’insérer dans Le Figaro une publicité mettant en scène le jeune pharaon, avec le slogan « Toutenépargnant ».

Car le trésor de Toutânkhamon n’intéresse pas seulement l’élite parisienne. Nombre de visiteurs mettent les pieds au musée pour la première fois afin d’admirer le plus grand trésor d’Égypte. « C’était deux décennies après la Seconde Guerre mondiale, et les pays qui avaient souffert de la guerre étaient toujours assoiffés d’événements culturels… Ce fut un âge d’or pour les cinémas, théâtres et musées, qui devaient satisfaire le besoin de divertissement des gens », analyse Tarek El Awady, commissaire de l’actuelle exposition Toutânkhamon. De fait, l’exposition de 1967 marque l’entrée dans l’ère de la culture de masse.

au musée, Des évanouissements par centaines

Il faut dire que son thème est particulièrement porteur. La découverte de la tombe inviolée de Toutânkhamon par Howard Carter et lord Carnarvon en 1922 a fait sensation. Et les récits des morts subites de plusieurs membres de l’expédition ont fait naître la légende d’une malédiction de la momie, qui continue de faire trembler dans les chaumières par presse interposée et attise encore la curiosité du grand public. Mais le succès de l’exposition « Toutânkhamon et son temps » tient aussi à la personnalité hors du commun de sa commissaire, conservatrice au département des antiquités égyptiennes du Musée du Louvre : Christiane Desroches-Noblecourt. Cette égyptologue de renom sait s’adresser au public. Elle prend elle-même la plume pour présenter l’exposition dans la presse, avec clarté et souci du lectorat auquel elle s’adresse, et parle avec passion à la télévision.

Pour rendre l’exposition accessible, elle fait surtout le choix d’un parcours thématique, autour de la vie et de la mort du jeune pharaon et des rites funéraires. Sa scénographie – la profession de scénographe n’existe pas encore – est particulièrement soignée. « La grande égyptologue […] a eu l’éminente idée de traduire matériellement par des éclairages spéciaux et des tentures de tons différents l’ambiance dans laquelle le mort égyptien, assuré de la survie, s’en allait vers la survie », lit-on dans le quotidien Notre République. Des ornements floraux, évocation des grands bouquets offerts au défunt dans l’Antiquité, sont même disposés à proximité des vitrines. L’égyptologue Tarek El Awady l’admire encore aujourd’hui : « Elle a été capable de susciter l’étonnement des visiteurs en leur faisant découvrir la vie et la mort du jeune pharaon. Les Français étaient fascinés par l’or et la perfection des pièces, et quand ils entraient dans la dernière salle de l’exposition et portaient le regard sur le masque d’or de Toutânkhamon, leurs yeux se remplissaient de larmes », s’émeut-il. Lorsque l’exposition s’achève, la presse fait état de 600 évanouissements pendant la durée de l’exposition. Effet de foule ? Ou « syndrome Stendhal », provoqué par la beauté des pièces sublimée par leur mise en scène ? On hésite, car l’émotion est à son comble.

Si l’exposition constitue un événement culturel, elle tient aussi et surtout un rôle politique et diplomatique majeur dans les relations franco-égyptiennes. À la suite de la crise du canal de Suez en 1956, la France avait en effet rompu ses relations diplomatiques avec l’Égypte. « En 1963, ces relations sont rétablies, alors que la campagne de l’Unesco pour le sauvetage des temples de Nubie, incluant Abou Simbel, est en cours », rappelle Vincent Rondot, directeur du département des antiquités égyptiennes au Louvre. À la tête de cette campagne : Christiane Desroches-Noblecourt. « Une exposition à Paris portant sur le trésor de Toutânkhamon est proposée, alors qu’André Malraux visite l’Égypte en 1965 », poursuit Vincent Rondot. Ses maîtres d’œuvre sont l’égyptologue et le ministre de la Culture égyptien Saroite Okacha. « L’exposition de 1967 permettait de lever des fonds pour sauver les monuments nubiens et restaurer les relations franco-égyptiennes », insiste Tarek El Awady. Les bénéfices de l’exposition – plus de 4,7 millions de francs – sont reversés au sauvetage des sites et monuments menacés de disparition sous les eaux du lac Nasser, par l’intermédiaire de l’Unesco.

Aujourd’hui encore, « Toutânkhamon est le meilleur ambassadeur de l’Égypte », souligne Vincent Rondot. De fait, l’Égypte subit de plein fouet les conséquences de la révolution de 2011, qui a provoqué un effondrement du tourisme, moteur économique du pays. « Cette exposition aura certainement un impact sur le tourisme. Elle invitera le public à venir visiter l’Égypte », reconnaît Tarek El Awady. Notamment pour y découvrir le nouveau Grand Musée du Caire, au pied des pyramides de Gizeh, qui doit accueillir les quelque cinq mille pièces du trésor de Toutânkhamon, et dont la présente tournée constitue à la fois une mise en bouche et une publicité.

Une tournée de récolte de fonds

Si le Louvre participe à l’exposition, en prêtant notamment une statue colossale du dieu Amon protégeant Toutânkhamon, l’événement de la Villette s’inscrit dans le cadre d’une tournée organisée par un des leaders mondiaux de l’organisation d’événements sportifs ou de divertissement, la société américaine IMG. Pour les autorités égyptiennes, il s’agit de récolter ainsi des fonds pour financer le chantier pharaonique du GEM. « Pour chaque ville, nous versons 5 millions de dollars à l’Égypte, auxquels s’ajoute un pourcentage au-delà d’un certain nombre d’entrées », explique John Norman, directeur d’IMG. « En 2005, déjà, j’ai organisé une tournée de Toutânkhamon. Les autorités égyptiennes, avec qui j’avais collaboré avec succès à cette occasion, me connaissent et ont confiance en moi », explique John Norman. « Le Louvre n’aurait pas eu les moyens d’organiser une telle levée de fonds », reconnaît Vincent Rondot.

Certains Égyptiens, pourtant, critiquent sur les réseaux sociaux la décision des autorités de confier ces trésors nationaux à une société privée. Des archéologues égyptiens, qui se souviennent encore d’un accident survenu à l’une des pièces du trésor pendant l’installation d’une exposition Toutânkhamon à Berlin en 1981, s’offusquent également que le gouvernement autorise la sortie du territoire de ces trésors nationaux. Ainsi, chacun des cent cinquante objets de l’exposition n’a pu quitter l’Égypte qu’à la condition d’avoir au moins un équivalent restant en Égypte – on peut ainsi admirer un des deux gardiens de la tombe, un des deux gants de Toutânkhamon, des bijoux, des statuettes… « Les chefs-d’œuvre de l’exposition de 1967, comme le masque ou le lit funéraire, ne sont pas du voyage, mais les pièces que nous présentons supportent ces chefs-d’œuvre et sont davantage représentatifs du trésor de Toutânkhamon », affirme John Norman.

Décevant malgré tout ? Pas forcément – malgré un prix d’entrée important (24 euros pour les adultes et 20 euros pour les enfants dès 4 ans le week-end), « justifié par les frais très élevés que représente une telle exposition, pour la restauration des pièces, le transport, les assurances, mais aussi la construction de cette exposition, qui a coûté 5 millions de dollars », justifie John Norman. Parmi les trente-deux pièces du trésor qui étaient à Paris en 1967, vingt-cinq sont à nouveau exposées. Et soixante pièces de la tombe de Toutânkhamon quittent l’Égypte pour la première fois. Mais, surtout, la restauration des pièces dans les laboratoires de pointe du GEM, financée par cette tournée, s’avère exceptionnelle.

Par ailleurs, la scénographie et les outils numériques mis en place pour l’exposition révèlent la beauté du trésor du jeune pharaon de façon inédite, si l’on en croit l’égyptologue Dominique Farout, conseiller scientifique de l’exposition. « Pour la première fois, on peut tourner autour des objets. L’éclairage et les vitrines les mettent en valeur de façon étonnante, si bien qu’on a l’impression de les admirer pour la première fois », commente Dominique Farout. L’exposition sera aussi l’occasion pour le public d’avoir accès aux dernières découvertes scientifiques concernant Toutânkhamon. « L’histoire inédite de la véritable fonction du trésor de Toutânkhamon sera exposée par les technologies les plus avancées utilisées par le monde muséal », résume Tarek El Awady. À l’entrée, un écran géant à 180° accueillera les visiteurs pour les immerger dans l’univers de Toutânkhamon. « Ensuite, le parcours est géographique : on découvre les objets dans l’ordre où les a découverts Howard Carter en 1922 », explique Dominique Farout. Sur les écrans, les pièces apparaissent dans leur contexte, des détails sont mis en valeur, les boîtes s’ouvrent… avant que le regard ne se pose sur les objets qui, dans les vitrines, se révèlent des chefs-d’œuvre. « C’est une expérience unique dans une vie », affirme John Norman. De quoi susciter, en effet, la curiosité de la presse et du public.

« Toutânkhamon, le trésor du pharaon »,
du 23 mars au 15 septembre 2019. Grande Halle de la Villette, avenue Jean-Jaurès, Paris-19e. De 10 h à 20 h. De 18 à 24 euros. expo-toutankhamon.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°720 du 1 février 2019, avec le titre suivant : Le trésor de Toutânkhamon, la nouvelle "exposition du siècle" ?

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