GENÈVE / SUISSE
Ouvert en 2005, le musée genevois a repensé son parcours, très complet, consacré à l’histoire culturelle et politique du protestantisme.
Genève. Il nous toise de son regard grave et perçant dès nos premiers pas dans le musée. Lui, c’est Martin Luther (1483-1546), l’instigateur de la Réforme au XVIe siècle, représenté ici en 1530 par le grand peintre de la Renaissance allemande, Lucas Cranach l’Ancien. Ce tableau n’est que l’un des nombreux chefs-d’œuvre que le Musée international de la Réforme (MIR) abrite et expose tout au long d’un parcours repensé et élargi depuis fin avril. Près de deux ans de travaux, précédés par de longs mois de Covid, auront laissé ce musée situé au cœur du vieux Genève longtemps portes closes. Le MIR s’ouvre à présent sur la Cour de Saint-Pierre, la place de la cathédrale de Genève – donnant encore plus de visibilité à un musée dont le succès de fréquentation a été pourtant, dès son ouverture en 2005, inattendu – avec une moyenne de 20 000 visiteurs par an, un chiffre que le musée ambitionne d’élever jusqu’à 30 000. Dans la Genève internationale, on accueille ici des visiteurs de près de 80 nationalités différentes et on propose un audioguide en neuf langues ; une aide indispensable à la visite de ces 6 000 mètres carrés d’exposition, car le visiteur n’y est pas assailli d’explications détaillées et une bonne culture générale religieuse se révèle utile pour aborder l’exposition.
Le MIR a une courte histoire sur une terre qui a adopté la Réforme il y a près de cinq siècles, en 1536, et est devenue une ville phare du protestantisme. C’est en 2000 que la Fondation du MIR a été constituée ; cinq ans plus tard, cette institution privée non subventionnée ouvrait ses portes au public. Écho à la longue tradition de mécénat suisse, la collection bénéficie de nombreux prêts de longue durée issus de collections privées. Parmi les mécènes figurent la famille de banquiers Pictet et le collectionneur Jean Paul Barbier-Müller. Ce dernier, par ailleurs fondateur du Musée Barbier-Müller situé à quelques pas de là, une référence dans le domaine des arts extra-européens, légua en 2005 au MIR un ensemble de livres rares et de gravures sur le thème des guerres de Religion qui constitue une salle entière du musée.
Les douze salles s’enchaînent d’abord au rez-de-chaussée dans les salons de cet élégant hôtel particulier du XVIIIe siècle dont les boiseries ont été dissimulées derrière des vitrines et cimaises aux couleurs franches. Une scénographie dynamique, signée du Studio Tovar, enrichie de dispositifs audiovisuels, a été conçue autour de tableaux, objets, livres, gravures. Le parcours qui mêle approches chronologique et thématique est scandé par des focus sur de grands événements comme le massacre de la Saint-Barthélemy, ou sur des figures majeures réformées : l’Allemand Luther bien sûr, le Zurichois Ulrich Zwingli, un peu, mais ici, le véritable héros c’est bien entendu Jean Calvin (1509-1564), qui introduisit la Réforme dans la ville suisse accompagné de 10 000 huguenots – des réfugiés qui devaient avoir un impact capital sur le développement politique, social et économique de Genève. Le portrait qu’en firent deux des plus grands peintres suisses du XIXe siècle, Albert Anker et Ferdinand Hodler, celui d’une doctrinale figure ascétique aux traits creusés, bible à la main, entérine l’image qui est véhiculée à travers les siècles, c’est-à-dire un « intellectuel », selon Gabriel de Montmollin, le directeur du musée, « contrairement à Luther, figure politique ».
« Le MIR n’est pas confessionnel, il témoigne d’une histoire culturelle, politique, d’une histoire des mentalités », insiste son directeur, qui, ancien étudiant en théologie passé par le journalisme et la Croix-Rouge, fut de nombreuses années à la tête des éditions protestantes Labor et Fides. Son modèle est d’ailleurs unique en Europe. S’il existe un grand musée consacré à Martin Luther à Wittenberg près de Leipzig (Allemagne) et d’autres musées illustrant des aspects plus locaux de la Réforme (tel le Musée du Désert dans les Cévennes), aucun n’embrasse une vue d’ensemble sur le sujet comme le MIR. Rien n’est d’ailleurs ici passé sous silence, pas même les paradoxes et contradictions de la pensée réformée. Ainsi, d’un côté, le caractère iconoclaste, parfois jusqu’à l’extrême, du mouvement ; de l’autre, la promotion de l’image pour la diffusion des idées. Rappelons que Luther, dont l’effigie fut l’objet de centaines de tableaux et gravures, fut le personnage le plus représenté de l’histoire allemande.
Dans ce parcours visuellement dense, on accueille avec bienveillance une halte recueillie dans le « salon de musique » (une installation immersive qui allie un vitrail animé à une bande-son, voyage dans l’histoire de la musique protestante) avant de descendre au sous-sol, dans les caves de l’hôtel particulier où est présentée une succession d’installations. Le visiteur s’amusera ainsi d’une vitrine où cohabitent des pièces à première vue hétéroclites – un carré de foulard Hermès, l’occasion d’évoquer les grandes familles industrielles protestantes, ou un jean Levi’s déclaré par l’historien Michel Pastoureau « vêtement protestant ». Plus loin, un kaléidoscope de grandes figures de penseurs du monde protestant, de Madame de Staël à Martin Luther King, introduit à un dispositif de projection simultanée de films sur trois écrans autour du terme « protester ». « Il n’y a pas d’histoire officielle de la Réforme, le MIR en propose une », indique Gabriel de Montmollin. Celle peut-être d’une Réforme au cœur du monde qui est tout particulièrement lisible dans la touchante exposition temporaire d’ouverture, « Déflagrations », placée sous le patronage du dessinateur Enki Bilal et consacrée aux dessins d’enfants en temps de guerre (jusqu’au 27 août).
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Le nouveau visage du Musée de la Réforme en Suisse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°613 du 9 juin 2023, avec le titre suivant : Le nouveau visage du Musée de la Réforme