Musée

PALAIS DE CHAILLOT

Le Musée, ses « ports » et ses comptoirs

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 17 novembre 2023 - 1000 mots

Le Musée de la marine réactive son réseau de cinq musées en régions. Le Palais de Chaillot est envisagé comme un lieu de rencontre et de réflexion, en particulier pour les acteurs scientifiques et économiques de la mer.

Vue aérienne de la Citadelle de Port-Louis, dans le Morbihan. © Musée national de la Marine / Romain Osi Vue aérienne de la Citadelle de Port-Louis, dans le Morbihan. © Musée national de la Marine / Romain Osi
Vue aérienne de la Citadelle de Port-Louis, dans le Morbihan.
© Musée national de la Marine / Romain Osi

Paris. Des notes salines, d’algues et d’embruns : le parfum qui embaume le hall d’entrée du Musée national de la marine n’est pas qu’une simple odeur, c’est une « signature olfactive ». Et le site parisien est le tout premier à se doter de cet équivalent, en fragrances du logo ou du jingle. La rénovation, d’une durée de six ans, a coûté un peu moins de 80 millions d’euros. Elle s’est accompagnée d’une refonte totale de l’image de marque du musée, portée par le motto du directeur du musée, Vincent Campredon : « La mer est l’avenir de l’humanité. » Graphisme, typographie et jusqu’à la signature olfactive, le Musée de la marine veut marquer les esprits : au-delà de sa vocation culturelle, l’ambition est de devenir un lieu essentiel pour le monde de la mer.

Au sein du parcours muséographique, l’objectif de faire de ce lieu un peu plus qu’un musée – un « musée d’un nouveau genre, du XXIe siècle », selon les termes du directeur – se lit partout : de la scénographie unique en son genre aux thématiques abordées (le transport, l’écologie…) qui transforment le musée d’histoire de la marine en un vrai musée de société. Ceci jusqu’au mécénat des grandes entreprises du secteur naval (3 millions d’euros), qui influe parfois de manière directe sur le contenu des vitrines. Dans un nouvel espace en mezzanine, surplombant le vaste hall d’entrée, une salle d’actualité condense les orientations renouvelées de l’institution. Cet espace pourra présenter les acquisitions du musée, mais aussi proposer des événements autour des courses nautiques comme le Vendée Globe, ou bien rendre compte des expéditions scientifiques, des conférences sur l’économie de la mer.

Avec le projet « Minerve » pour le Musée de l’armée, et « Astreos » pour celui de l’air et de l’espace, s’opère également la métamorphose de ce type d’institution en musée de société. Parmi les musées sous tutelle du ministère des Armées, celui de la marine pousse le curseur un peu plus loin en se voyant comme un point de repère pour un milieu de la mer sans ancrage. Lorsqu’il était encore directeur de la communication de la Marine nationale, Vincent Campredon avait identifié ce besoin d’un espace où les acteurs (économiques, militaires, scientifiques, sportifs..) du monde marin pourraient échanger. Chargé en 2015 de la refonte du musée de Chaillot, il saisit l’opportunité d’en faire une « maison de la mer » : « Nous sommes porteurs d’une responsabilité, celle de fédérer le monde de la mer », explique-t-il.

Redynamiser le réseau hors de Paris

Mais avant de réunir cette communauté des gens de la mer, il a fallu réactiver un autre réseau en dormance, celui de l’établissement public du Musée de la marine. Un centre de conservation à Dugny (Seine-Saint-Denis), deux musées en Bretagne (Port-Louis et Brest), un à Rochefort en Charente-Maritime et un autre dans le port militaire de Toulon : avant les grandes manœuvres de Chaillot, ces satellites avançaient en ordre dispersé. « Nous avons recréé un niveau siège, pour travailler d’une seule voix, et avoir un établissement qui a une politique commune dans tous ces lieux », retrace le directeur, qui prend soin de préciser que « Chaillot n’est pas le navire amiral », mais un musée parmi d’autres.

L’établissement public fixe un cap commun, autour du concept muséographique développé à Paris, mais accorde aussi une autonomie aux annexes côtières – rebaptisées « ports ». Il les invite à tisser des liens avec leur voisinage culturel et maritime, comme à développer l’identité locale qui leur est propre. Ainsi, dans la citadelle de Port-Louis, un projet est mené conjointement avec la Ville de Lorient, propriétaire du musée voisin de la Compagnie des Indes, avec l’objectif d’ouvrir en 2025 un parcours commun dévolu à l’histoire maritime de la ville. Les deux sites gérés par le Musée national de la marine de Rochefort bénéficieront également d’une refonte totale, lancée en 2024. L’objectif est là aussi de s’intégrer à l’écosystème de l’Arsenal des mers, avec L’Hermione et le Centre international de la mer. En présentant le « Canot de l’Empereur » – trésor des collections – à Brest et non à Paris, l’établissement envoyait dès 2020 un message fort sur l’importance retrouvée de ses « ports ». Autonomes dans leur politique locale, les musées côtiers seront intégrés aux grandes orientations de la programmation de l’établissement, comme la saison « Planète bleue » qui s’étendra jusqu’en 2028.

Le musée national a également réactivé le réseau des musées maritimes français, et rejoint le Conseil international des musées maritimes et son comité exécutif pour se confronter à l’échelle du monde. « Je pense qu’on va remplacer Greenwich comme grand musée maritime ! », ambitionne Vincent Campredon. Grâce à son parti pris immersif, et son attention particulière à l’inclusion de tous les publics (scénographies adoucies, espaces adaptés aux publics autistes, textes faciles à comprendre…), le Musée de la marine dépoussière l’image de ce type d’institution, et suscite la curiosité de ses homologues internationaux.

La qualité de l’accessibilité comme le travail sur ses réseaux seront plus qu’utiles pour atteindre l’objectif fixé par la tutelle : de 18 % avant la fermeture, le ministère des Armées souhaiterait que les ressources propres passent à terme 50 % des recettes de l’établissement. À Chaillot, l’aménagement architecturale des lieux a donc réservé une place importante à ces équipements : la librairie-boutique, d’une surface de 200 m2, qui pallie l’absence d’une librairie maritime à Paris ; l’auditorium avec vue sur la tour Eiffel ; un nouveau restaurant et – innovation dans un musée français – des salles de séminaire destinées aux entreprises. L’impératif économique supplante parfois les missions premières du musée, comme avec la « salle des adhérents » – et potentiels futurs mécènes, un lounge à l’américaine qui leur est réservé, un espace qui aurait pu être dévolu aux activités pédagogiques : « Il faudra voir comment ce salon fonctionne », tempère Vincent Campredon, qui n’oublie pas que cette « maison de la mer » est avant tout un musée.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°621 du 17 novembre 2023, avec le titre suivant : Le Musée, ses « ports » et ses comptoirs

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