Avec leurs salles souvent fermées, leurs collections poussiéreuses et leur accueil réfrigérant, les Musées royaux d’art et d’histoire jouissaient d’une réputation désastreuse. Depuis trois ans qu’il en est le directeur, Francis Van Nooten a opéré en fin politique pour transformer leur image et en faire le point de convergence des touristes et des Bruxellois. Mais à quel prix ?
BRUXELLES - Un peu de Louvre, deux doigts de Musée de l’Homme, une pincée de Musée Guimet et quelques Antiquités Nationales sous un même toit : parmi les institutions muséologiques belges demeurées nationales, les Musées royaux d’art et d’histoire occupent une situation particulière. Leurs collections vont de l’archéologie nationale aux porcelaines chinoises, en passant par les vestiges d’Apamée, les retables du XVIe siècle, l’art nouveau, la sculpture inca et les armures médiévales.
À l’éclatement des collections, dont la qualité varie selon les sections, répond le nombre important des bâtiments qui relèvent de l’institution. La majeure partie des collections occupe une aile de l’édifice construit en 1880 pour commémorer le cinquantenaire de la Belgique.
À ce noyau, s’adjoignent six autres bâtiments situés à Bruxelles : la Tour japonaise, – fermée durant 47 ans et qui accueillera des expositions –, le Pavillon chinois – qui sera loué pour des événements ponctuels avant d’être réaffecté à des fonctions muséales –, la Porte de Halle – qui accueillera l’art populaire –, le Musée instrumental – qui devrait investir l’ancien magasin "Old England" sur la place royale –, le Pavillon des Passions humaines, dû à Horta, qui abrite dans le parc du cinquantenaire l’immense relief de Jef Lambeaux, sans oublier le Musée Belle-Vue, attenant au Palais royal, et qui devra céder la place à la fin de l’année à un musée consacré à la mémoire du Roi Baudouin.
Ouverture de quarante salles
En dépit d’une diminution du personnel statutaire, d’un budget stagnant, de blocages syndicaux, Francis Van Nooten a voulu relancer le "Cinquantenaire" – tel est le nom qu’on aimerait aujourd’hui voir reconnu. Il a réalisé, grâce à l’intervention de sponsors publics et privés, belges et étrangers, la rénovation des bâtiments, l’ouverture de quarante nouvelles salles, bientôt suivie d’une vingtaine d’autres, et des expositions à rayonnement international.
Mais sa gestion est révélatrice d’une politique plus financière que scientifique. Ainsi, le déficit est combattu en louant les cimaises à des expositions qui, si elles attirent le public, posent des problèmes déontologiques, comme les "Trésors du Nouveau Monde". En pleine frénésie commémorative de 1492, cette exposition avait rencontré un succès public sans précédent.
Aztèques, Olmèques et autres Incas étaient réunis sans que toutes les garanties aient été prises quant à la provenance des pièces. Certaines avaient été abusivement restaurées, d’autres étaient sorties illicitement de leurs pays d’origine. L’exposition n’était pas l’œuvre des responsables du musée, mais de collectionneurs privés et de marchands, dont les objectifs ne répondaient pas au cahier des charges d’une institution scientifique.
Blanchiment d’œuvres détournées
Même si la direction peut considérer les organisateurs comme seuls responsables de l’exposition, le musée n’en prête pas moins son nom à un travail de blanchiment d’œuvres détournées, et offre un singulier parrainage à des opérations strictement commerciales. Faut-il qu’un établissement scientifique joue ce rôle ?
À travers les options défendues par Francis Van Nooten, on constate une évolution de la fonction muséale vers le marketing culturel. Les expositions se multiplient à des fins financières, les salles s’ouvrent à un rythme soutenu sans que les problèmes de gardiennage soient résolus ; des chantiers de fouilles sont créés alors que ceux qui existent sont à la limite de l’asphyxie.
Les Musées royaux d’art et d’histoire offrent une gamme de services complets – dont un service éducatif exemplaire –, mais répondent-ils encore à leur mission première ? Il était un temps où les sculptures en plâtre du XIXe siècle pourrissaient dans les caves et où les dessins de Hankar faillirent disparaître par négligence. Ce temps est-il seulement révolu ?
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Le Cinquantenaire, les ambiguïtés d’une rénovation
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°6 du 1 septembre 1994, avec le titre suivant : Le Cinquantenaire, les ambiguïtés d’une rénovation