La Villa Noailles fête ses 100 ans

Sur les hauteurs d’Hyères, au sommet d’un terrain escarpé, trône un grand bâtiment blanc qui ressemble étrangement à un paquebot. Il a 100 ans mais il pourrait avoir été conçu hier, tant il est d’allure moderne. On y accède à pied par un chemin longeant le jardin cubiste de Gabriel Guévrékian qui débouche sur un large parvis de verdure : à droite, le monument imposant ; à gauche, une vue à couper le souffle sur la baie d’Hyères et, au loin, l’île de Porquerolles. Les commanditaires de cette villa ne sont autres que le vicomte et la vicomtesse Charles (1891-1981) et Marie-Laure (1902-1970) de Noailles, qui en ont écrit l’histoire pendant 50 ans, avant qu’elle ne soit cédée à la ville d’Hyères, en 1973. Depuis 2003, soit pile 20 ans, le lieu accueille un centre d’art contemporain d’intérêt national. Un terrain reçu en cadeau de mariage en 1923 de la princesse de Poix, mère de Charles, marque le début d’une histoire hors norme. Très fortuné, le couple souhaite y bâtir « une maison d’hiver intéressante à habiter », dans laquelle la fonctionnalité primera sur le reste : une maison moderne pour y vivre de manière moderne. Après avoir sollicité Mies van der Rohe et Le Corbusier, il passe finalement commande à Robert Mallet-Stevens (1886-1945) qui n’a jusque-là réalisé que quelques décors de théâtre. Les travaux débutent en 1924 et donnent naissance au bâtiment initial (200 m2), achevé en 1925.

Conçu pour être habité en hiver, il est orienté plein sud et abrite les appartements privés des Noailles, ainsi que des chambres d’amis. Les pièces sont relativement petites, épurées, à l’inverse du faste de l’hôtel particulier des époux, place des États-Unis, à Paris. Hygiénistes, ils ont fait installer dans chaque chambre une salle de bains, tandis que tout un tas de perfectionnements techniques truffent la construction, à l’instar de baies vitrées escamotables ou d’horloges signées Francis Jourdain, intégrées dans le mur de chaque pièce. La maison est alors baptisée par ses propriétaires Clos Saint-Bernard, en souvenir du monastère cistercien qui occupait jadis la parcelle. Les soubassements ont d’ailleurs conservé trois salles voûtées qui servaient de salles de réception. Au fur et à mesure, et jusqu’en 1932, des édifices annexes viennent s’ajouter, comme une piscine intérieure, un gymnase ou encore une salle de squash – les Noailles sont férus de sport. Au total, la surface habitable compte 1 800 m2, sur un parc de 4 hectares.

Pour meubler et décorer la villa, mais aussi leurs autres demeures, à Paris ou à Grasse, les Noailles développent une intense politique d’acquisitions, avec des moyens quasiment illimités : ils sont tous deux issus de familles de collectionneurs et elle est la petite-fille du richissime banquier Ferdinand Bischoffsheim. Leurs choix, résolument modernes, se tournent vers Chagall, Derain, Braque, Picasso, etc. Mais, très vite, de simples collectionneurs, ils deviennent commanditaires puis mécènes. Outre leur soutien à plusieurs institutions, comme le Louvre ou la bibliothèque littéraire Jacques Doucet, ils aident matériellement de nombreux créateurs par des commandes régulières et très éclectiques : art, architecture, aménagements intérieurs, musique, mode, littérature ou cinéma, auprès de noms aussi divers que Diego Giacometti, Chareau, Cocteau, Dalí, Balthus, Poulenc, Buñuel, Breton, Aragon ou César. Leur vie à la villa est ainsi rythmée par l’accueil d’artistes logés dans les chambres d’amis. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le bâtiment est occupé par l’armée italienne puis par l’Institut hélio-marin de la Côte d’Azur, avant d’être restitué en 1947 au couple, qui s’en sépare dans les années 1950. Durant la décennie suivante, Marie-Laure y réside une partie de l’année mais, à son décès en 1970, Charles ne souhaite pas conserver la propriété. Aussi, en septembre 1973, il la vend à la ville d’Hyères, vidée de son mobilier et de ses objets d’art. Bien qu’inscrite en 1975 à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, la bâtisse est quasiment en ruine. Il faudra attendre une première campagne de travaux en 1989-1990, puis en 1996, pour qu’elle retrouve son lustre, avant de devenir en 2003 centre d’art contemporain.

Pour fêter dignement les 100 ans de la villa qui porte désormais le nom du couple, Jean-Pierre Blanc, son directeur, a élaboré un vaste programme, depuis mars jusqu’à mi-janvier 2024. Ont déjà eu lieu, entre autres cet été, le 17e Festival international de design, Design parade, ou encore Ressusciter la rose, un opéra créé spécialement, tandis que du 12 octobre au 14 janvier 2024, se tiendra le 38e Festival international de mode, de photographie et d’accessoires. « Ce centenaire est vraiment un moment de partage avec les artistes et le public », résume le directeur. Hors centenaire, « notre programmation est orientée, historiquement depuis 20 ans, vers quatre domaines : le design, la mode, la photographie et l’architecture », détaille-t-il, avant d’ajouter : « Le rythme des expositions est toujours identique : une exposition d’architecture en début d’année, un festival de design pendant l’été, un festival de mode en octobre, une exposition photo en novembre et un festival pour les enfants en décembre. » Des visites scolaires, des ateliers ou encore des rencontres sont également organisés, tandis que la villa est aussi un lieu de résidence pour les artistes pratiquant les quatre disciplines exposées.