Le commissaire divisionnaire Jean-Michel Mimran dirige depuis 1994 l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), créé en 1975 par décret du Premier ministre. En liaison avec différentes administrations comme la Gendarmerie, les Douanes, les ministères de l’Intérieur, de la Justice, de la Culture et des Affaires étrangères, il est chargé de la coordination du dispositif français de lutte contre le trafic des œuvres d’art. Composé de trente-cinq policiers et gendarmes, l’Office mène ses propres enquêtes, collabore avec les services régionaux de police et de gendarmerie, et centralise l’information sur les vols d’objets d’art en France à l’aide de la base Treima (Thesaurus de recherche électronique et d’imagerie en matière artistique). Dans cet entretien, il revient sur l’évolution inquiétante des vols d’objets d’art en France et sur leurs causes, tout en soulignant le rôle important que peuvent jouer les particuliers dans la sauvegarde de leur patrimoine.
Comment analysez-vous la forte hausse des vols d’objets d’art en France ?
Il faut observer que cette hausse touche essentiellement les zones rurales, où les vols ont augmenté de 41 % entre 1997 et 1998. En ville, où est détenu très majoritairement le patrimoine, le phénomène est stable depuis quelques années. Cette recrudescence ne peut s’expliquer sans prendre en compte la hausse du marché de l’art depuis deux ans. L’engouement pour les objets d’art français à l’étranger est fort, et il se répercute sur le marché clandestin. Les vols ont lieu à la suite d’une demande qui n’est pas ciblée sur un objet particulier mais sur un style. Aux États-Unis, par exemple, les particuliers sont friands d’objets de facture française pour meubler leurs intérieurs. Le marché officiel ne pouvant plus satisfaire ces acheteurs pour des raisons diverses (marchandises rares, prix trop élevés…), ceux-ci ont tendance à se tourner vers des objets d’origine douteuse. C’est la loi du marché : la demande étant forte, les vols augmentent.
Les méthodes employées par les voleurs évoluent-elles ?
Nous avons affaire à des réseaux très structurés qui s’apparentent à de la criminalité organisée. Les vols, souvent effectués lors de cambriolages nocturnes, ne sont que le maillon visible d’un travail soigneusement réparti. Un groupe effectue les repérages, un autre se charge du vol et un troisième assure la sortie des objets en dehors du territoire. Au bout de la chaîne, dans un pays de transit (la Belgique et la Hollande souvent), le receleur réceptionne les objets et les modifie souvent de façon légère afin d’en empêcher l’identification formelle. De nombreux contacts écouleront ensuite la marchandises selon les demandes des marchés étrangers.
D’où une grande difficulté à retrouver ces objets ?
En effet, une fois les objets arrivés à l’étranger, il est quasiment impossible de procéder à l’identification nécessaire à leur saisie. Contrairement à leurs homologues français, les marchands américains, par exemple, n’ont pas à justifier l’origine de leurs pièces. Un particulier entre ensuite en possession des œuvres ; dès lors, elles peuvent être considérées comme perdues. D’autant que ces objets sont rarement uniques, ce sont des pièces produites à plusieurs exemplaires. Elles sont donc plus faciles à négocier et plus difficiles à identifier. Les objets de qualité volés en France se retrouvent très rarement sur notre territoire. En dix ans, à quelques exceptions près, on peut estimer que les objets retrouvés sur notre territoire sont majoritairement des pièces qui n’ont pas trouvé d’acquéreur sur le marché clandestin international. L’action contre les receleurs ne peut être menée qu’au niveau international ; il n’est pas possible d’espérer lutter contre un trafic transfrontière uniquement à partir d’échelons départementaux ou interdépartementaux.
Les écarts législatifs entres pays aggravent donc la situation ?
Les problèmes de législation et de réglementation sont à la base de l’essor du trafic des œuvres d’art. Exception faite des pays victimes, comme la France, l’Italie ou l’Espagne, les législations en vigueur ne sont absolument pas adaptées à la lutte contre les trafiquants. En Belgique, par exemple, le délai de prescription pour le recel n’est que de cinq ans. Il ne faut pas non plus faire de confusion ; les autorités de ces pays (avec lesquels nous collaborons d’ailleurs régulièrement) montrent une forte volonté de combattre ce fléau. Mais cette action ne peut se faire qu’avec les moyens législatifs et réglementaires dont elles disposent. La mise en œuvre dans un maximum de pays, dont la France, de la convention Unidroit favoriserait une harmonisation des législations, ce qui me semble souhaitable et urgent. La France a signé cette convention à Rome en 1995, et le ministère de la Culture veut engager le processus de ratification. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ne l’ont pas encore signée ; il faut espérer que sa mise en place par la France produise un effet d’entraînement.
La législation française est-elle satisfaisante ?
Je crois que tout le monde s’accorde à dire que le dispositif judiciaire et juridique français est satisfaisant, comparé à ce qui existe ailleurs. Nous avons un système assez répressif, concernant le recel ; les marchands sont tenus à certaines obligations, comme le registre des objets mobiliers. Toutefois, la moralisation et la transparence du marché français ne pourront que se trouver améliorées par l’application complète des conventions internationales, notamment pour les objets provenant de pillages dans les pays en voie de développement qui n’ont ni les moyens, ni les structures pour se protéger.
Quels conseils donner aux particuliers pour se protéger ?
La prévention est essentielle, et une bonne documentation de son patrimoine est indispensable. Inventorier ses biens ne nécessite pas obligatoirement le recours à une société spécialisée ; les particuliers peuvent s’adresser à leurs assureurs pour obtenir une fiche descriptive à fournir aux services de police ou de gendarmerie en cas de vol. Cette fiche a été développée en collaboration avec les compagnies d’assurances et donne de nombreuses indications sur la méthode à suivre. Une bonne photographie et un descriptif minimum (nature, mesures, nombre de tiroirs pour une commode...) sont demandés. Le marquage des objets est aussi très important. Bien souvent, il suffit d’observer les traces d’usure ou de restauration sur l’objet et de les noter scrupuleusement, au besoin les photographier : c’est le meilleur des marquages.
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Entretien avec le commissaire divisionnaire Jean-Michel Mimran
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°83 du 14 mai 1999, avec le titre suivant : Entretien avec le commissaire divisionnaire Jean-Michel Mimran