Monument - Politique culturelle

Domaines nationaux, une visée commerciale ?

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2024 - 918 mots

La ministre de la Culture propose d’ajouter cinq monuments parisiens à la liste des domaines nationaux. Une protection accessoire qui permet surtout d’en commercialiser l’image.

Paris. Le Panthéon, l’Arc de triomphe ou l’hôtel de la Marine avaient-ils besoin d’une protection patrimoniale supplémentaire ? Ces trois monuments parisiens, accompagnés de la colonne de Juillet de la place de la Bastille et de la Chapelle expiatoire du 8e arrondissement, rejoindront bientôt la liste des domaines nationaux, ainsi que la ministre de la Culture, Rachida Dati, l’annonçait sur le réseau social X le 11 octobre dernier. Si cette couche de protection législative supplémentaire pour des monuments déjà classés apparaît superfétatoire, elle a reçu l’avis favorable de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture.Ce qui pourrait ouvrir une nouvelle ligne de recettes dans les comptes de leur gestionnaire, le Centre des monuments nationaux (CMN).

Parcs et jardins inclus dans le périmètre de protection

L’article L.621(-34 à 35) de la LCAP (loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine) relatif aux domaines nationaux est l’aboutissement d’un long travail pour redonner une réalité juridique à la vieille notion de « palais nationaux », disparue avec l’avènement de la IIIe République. Ceux-ci bénéficient d’une inaliénabilité, d’une imprescriptibilité et d’une inconstructibilité, permettant d’éviter le démantèlement des parcs et jardins des grandes résidences propriétés de l’État. Par ailleurs, la loi du 7 juillet 2016 offre aux gestionnaires de ces domaines un contrôle sur l’usage commercial de l’image du monument : le résultat d’un autre combat, juridique, mené par le château de Chambord (Loir-et-Cher) contre le brasseur Kronenbourg.

La liste des domaines nationaux (préétablie lors de la rédaction de la loi) se composait jusqu’alors de monuments associés à leurs jardins ou parcs, conformément à l’esprit de la loi qui évoque une conservation dans le respect du caractère « paysager et écologique » de ces biens. Pour le domaine de Meudon (Hauts-de-Seine), le Louvre et les Tuileries ou le château de Compiègne (Oise), cette protection supplémentaire sanctuarise un périmètre forestier ou paysager. Les cinq nouveaux ajouts parisiens détonnent ainsi avec la liste des seize domaines établie depuis 2016 : « On est en train de faire perdre sa cohérence à un corpus qui était remarquable », dénonce Julien Lacaze, président de l’association Sites & Monuments lors d’une émission de la chaîne Figaro TV.

Ces monuments sans jardins attenants sont déjà protégés au titre des monuments historiques et les lois qui s’appliquent au domaine public, et le statut de « domaine national » ne leur apporte aucun dispositif de protection dont ils ne bénéficiaient déjà. C’est donc dans le domaine du contrôle de l’image du monument que ce statut leur apporte un nouveau droit : la possibilité d’autoriser ou non l’utilisation commerciale de leur image, et de contractualiser cette autorisation sous la forme d’une redevance.

Les défenseurs de la liberté d’expression et de création voient d’un mauvais œil ces additions à la liste des domaines nationaux : « Notre crainte, c’est que cette extension ne s’arrête plus, estime Pierre-Yves Beaudouin, ancien président de Wikimédia France. Il faut se souvenir que la Cour des comptes voulait étendre le dispositif aux musées nationaux… Si c’est le cas, les œuvres aussi peuvent être englobées. Il y a aujourd’hui beaucoup d’exceptions qui encadrent l’utilisation de l’image, mais elles sont floues et pourraient aussi disparaître. » Pierre-Yves Beaudouin avait porté une question prioritaire de constitutionnalité en 2017 sur le sujet après l’adoption de la LCAP.

Cependant, la juriste Cécile Anger – docteure en droit public, spécialiste de la protection de l’image des biens culturels et responsable de la marque à l’Établissement public national du Mont-Saint-Michel – rappelle que le cadre juridique actuel garantit une liberté dans l’usage de l’image des monuments : « Dès l’origine, la loi a été pensée pour ne pas porter atteinte à la liberté d’expression. Si l’utilisation commerciale de l’image se double d’une visée culturelle, éducative ou artistique, elle reste libre. Le livre scolaire est un exemple d’usage commercial qui reste libre, car avant tout éducatif. »

Salariée du château de Chambord lors du bras de fer juridique avec Kronenbourg qui avait utilisé l’image du monument dans une publicité pour l’une de ses marques de bière, Cécile Anger note l’impact positif de cette loi pour la résidence de François Ier : « Nous avons clairement vu un avant et un après “domaine national” à Chambord, ça nous a permis de convaincre des entreprises, de mettre en place des partenariats. L’idée a été de convertir des utilisateurs en partenaires. » Les bénéfices tirés par l’établissement de ce contrôle de l’image restent toutefois marginaux : le rapport d’activité 2023 faisait état de 52 000 euros de recettes pour la licence de marque.

L’agenda parisien de Rachida Dati

Pour le CMN (qui ne souhaite pas communiquer avant l’officialisation de l’extension par décret), les gains de cette autorisation sur le contrôle de l’image pourraient rester anecdotiques : « L’esprit de la loi n’est pas de survaloriser et de tout exploiter, précise d’ailleurs la juriste, même si celle-ci ouvre cette possibilité de dégager des recettes, et que le contexte actuel est difficile. »

Restent d’autres gains, politiques cette fois car concernant l’image de la ministre de la Culture qui a proposé cette extension, et qui ne cache pas son ambition de se présenter aux prochaines élections municipales parisiennes. Ces nouveaux domaines nationaux font ainsi écho au classement au titre des monuments historiques de la tour Eiffel réclamé par Rachida Dati. Bien que jugé dispensable par les acteurs du patrimoine, cette demande permet à la ministre d’engager un bras de fer avec la maire de Paris, Anne Hidalgo.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°643 du 15 novembre 2024, avec le titre suivant : Domaines nationaux, une visée commerciale ?

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