Grands sites

CATACOMBES

Comment consolider les murs d’ossements des catacombes ?

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2025 - 660 mots

Pour parer à l’effondrement de certaines « hagues » d’ossements dans les Catacombes, l’établissement a fait appel à des maçons spécialistes de la restauration en pierre sèche.

Paris. D’ordinaire, ils travaillent en plein air, et utilisent pour tout matériau la pierre. Mais cet automne, Loïc Dollet et Florent Bastaroli opéraient à 20 m sous terre, élevant des murs faits d’ossements. Un changement de cadre pour ces deux maçons de l’association Rempart, spécialistes des techniques de la maçonnerie en pierre sèche, chargés du chantier de restauration des hagues (les murs constitués d’os) (voir ill.) des Catacombes de Paris. « Tout au début de l’intervention, il y avait un côté très impressionnant, se souvient Loïc Dollet. Mais l’aspect très technique et l’approche scientifique nous ont protégés. »

Car le chantier mené par Paris Musées (gestionnaire des Catacombes) n’est pas cosmétique, et vise à préserver les millions d’ossements transférés dans ces anciennes carrières souterraines aux XVIIIe et XIXe siècles, depuis les cimetières désaffectés de la capitale. « C’est une opération curative et de conservation préventive, explique Clotilde Proust, conservatrice-restauratrice qui a encadré le protocole de restauration des hagues. La valeur patrimoniale des catacombes a longtemps été ignorée, et nous n’avons pas encore mesuré tout son potentiel… la documentation sur les travaux réalisés au fil du temps est inexistante, et seules les sources photographiques nous permettent de comprendre que le site a été très largement remanié. »

Le diagnostic patrimonial établi par la restauratrice – le tout premier examinant l’état sanitaire des lieux– met en lumière les différents dangers qui pèsent sur la conservation des ossements : atmosphère confinée, présence des visiteurs, et surtout« l’eau sous toutes ses formes, ruisselante, en goutte à goutte, remontant par capillarité… c’est le principal facteur de dégradation qui amène à l’effondrement des hagues ». Le travail des maçons doit permettre à ces murs d’ossement de retrouver une stabilité pérenne, tout en minimisant l’impact de l’eau.

Mais avant de remonter, il a fallu démonter des mètres cubes d’os : « C’est certainement la phase qui nous a fait le plus peur, retrace Loïc Dollet. Nous avons démonté un volume énorme de matière : nous avions une montagne de sacs devant nous. » Les os endommagés ne pouvant être réutilisés, les maçons se tournent vers des « réserves » près des conduits d’aération du site, où ils trouvent une matière première en bon état, conservée dans un climat plus sec que celui des galeries. Une phase de tri, conduite par la société Bovis, permet alors de regrouper les restes par type d’ossements : tibias, fémurs, humérus, et les très précieuses boîtes crâniennes intactes qui permettent de reformer les lignes de crânes qui scandent les hagues.

« On s’est tous un peu formé à l’anatomie humaine, explique le maçon, qui reconnaît désormais un fémur au premier coup d’œil. Plus on travaille sur le site, plus on comprend comment réagissent les os. Le poids, la texture deviennent des indicateurs de leur solidité. C’est un matériau très vivant, qui s’apparente presque à de l’humus… dans les murs que nous avons remonté, on voit d’ailleurs déjà des mouvements. » La technique de la maçonnerie en pierre sèche doit s’adapter aux particularités de ce matériau, et anticiper ces mouvements, en coiffant par exemple les boîtes crâniennes d’un solide arc en plein cintre de fémurs.

« Ce remontage des hagues montre qu’il y a une véritable valeur patrimoniale dans les Catacombes, souligne Isabelle Knafo, administratrice du site. Cela fait partie d’un travail que l’on engage pour changer l’image du site, qui est un peu considéré comme une attraction pour jouer à se faire peur. »Études scientifiques menées par le médecin Philippe Charlier, et travaux de modernisation des installations techniques comme de la scénographie à venir en 2025, participent à cet objectif de faire des catacombes un lieu patrimonial… et de repos pour ses six millions d’occupants. « Mettre en place ce travail de conservation, c’est aussi respecter ces restes d’êtres humains, précise Clotilde Proust. On ne les laisse pas livrés à eux-mêmes, et aux dégradations, on prend soin d’eux. »

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°646 du 3 janvier 2025, avec le titre suivant : Comment consolider les murs d’ossements des catacombes ?

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque