PARIS
L’historien de l’art qui dirige depuis cinq ans le Musée des beaux-arts de la Ville de Paris s’emploie à mettre en valeur son architecture – il en a déjà aménagé l’entrée. Il nourrit aussi de multiples projets pour l’enrichissement des collections et la transmission au public.
Paris. Entre une escapade en province pour convaincre une potentielle donatrice et un week-end studieux, Christophe Leribault, les épreuves du catalogue de l’exposition actuelle « Anders Zorn » (1860-1920) sous le bras, nous reçoit un vendredi soir, après la fermeture des salles, dans un Petit Palais désert. « La plus belle œuvre du musée, c’est le bâtiment lui-même ! », s’exclame ce spécialiste de Jean-François de Troy, Gabriel de Saint-Aubin et Delacroix. Cinquante ans après avoir franchi le seuil du Petit Palais pour la première fois, en 1967, à l’occasion d’une visite de l’exposition « Toutankhamon et son temps » – il n’avait pas encore 4 ans –, sa fascination pour l’œuvre de l’architecte Charles Girault reste intacte. « J’ai eu la chance d’avoir des parents qui, sans être du tout des professionnels de l’art, avaient beaucoup de plaisir à nous faire découvrir ces lieux impressionnants. » Il évoque un peu gêné quelques cadeaux qui ont beaucoup compté, les diapositives de l’exposition « Georges de La Tour » à l’Orangerie en 1972 ou le catalogue de l’exposition « Pompéi » au Petit Palais en 1973. « Je suis du coup très sensible à l’accueil des enfants au musée. Cela me paraît primordial que l’endroit soit agréable et sympathique. Je suis aux anges : des canards sauvages ont adopté les bassins du musée, mais l’objectif n’est pas non plus de développer l’aérobic au musée… »
À mille lieues des discours habituels sur l’accueil des publics, Christophe Leribault parle du « côté très festif qui est formidable dans ce bâtiment aux allures de casino néobaroque » en faisant l’éloge de toute la pompe accompagnant l’Exposition universelle de 1900, de sa fabuleuse grille dorée ou du tapis de marbre rouge qui entraîne les visiteurs vers les galeries. Sans oublier l’« escalier monumental en béton armé de 1900, un tour de force qui ne touche pas les murs avec cette ferronnerie incroyable, surmonté d’une coupole décorée par Maurice Denis à la gloire de l’art français, une version évidemment très nationaliste. Au dessous, nous avons décidé d’accrocher en clin d’œil Les Saisons peintes par Cézanne pour convaincre son père de l’envoyer étudier à Paris et signées avec malice “Ingres 1811” ». Selon Christophe Leribault, le côté spectaculaire des lieux imaginés par Girault est un atout essentiel pour donner envie d’aller au musée. Il va bientôt redonner sa splendeur d’antan au « belvédère » situé à l’extrémité de la galerie nord en transférant au rez-de-chaussée la boutique et ses vitrines « qui niaient l’architecture ». Après la Fiac [Foire internationale d’art contemporain], « elles laisseront la placeà des grandes sculptures qui seront illuminées le soir et visibles depuis les Champs-Élysées ».
Le nouveau parcours du Petit Palais est pensé comme une promenade qui permet d’aller de surprise en surprise. Il débutera bientôt avec les salles consacrées au XVIIIe siècle français qui ont progressivement retrouvé leur état du temps de la présentation de la donation Tuck en 1930. Pour recréer l’atmosphère d’une collection américaine, les grands vases chinois, les vitrines anciennes et les pendules qui sonnent désormais toutes les heures ont été sortis des réserves. Christophe Leribault a par ailleurs convaincu la Bibliothèque nationale de déposer les trésors du Cabinet des médailles pendant les travaux du quadrilatère Richelieu, dont le médailler réalisé par Charles Cressent pour le duc d’Orléans ou les « médaillers Pellerin » que des dizaines de milliers de visiteurs voient pour la première fois. En réalité, plus encore que la future nouvelle salle des icônes au sous-sol ou la liste impressionnantes des donations récentes – Étienne Bréton, qui boucle avec Pascal Zuber le catalogue raisonné de Louis Léopold Boilly, vient de lui proposer sa collection d’estampes de l’artiste, le plus grand ensemble jamais réuni –, ce sont les salles XIXe siècle qui rendent compte le mieux de la feuille de route que s’est fixée le directeur lors de son arrivée à la tête du musée en 2012 : une meilleure mise en valeur de l’architecture, une densification de l’accrochage des collections et la recherche de mécénat afin d’avoir les mains libres pour réaliser des projets.
Dans l’immense salle qui jouxte le jardin, nombre de tableaux sont montrés pour la première fois depuis des décennies. Christophe Leribault ne boude pas son plaisir d’observer l’enthousiasme du public qui s’installe sur les banquettes anciennes récemment sorties des réserves pour admirer Les Halles (1895) de Léon Lhermitte, une toile monumentale de plus de 6 mètres, roulée avant la guerre. « La restauration financée par le Marché international de Rungis permet enfin d’observer à loisir cette page de la vie parisienne et de deviner la frénésie, les odeurs et les bruits des halles de Baltard. Comme pour les opéras baroques (qu’on a longtemps pensés sans intérêt), le public est bien au rendez-vous de ses succès d’antan. » Devant les grands formats qui dormaient dans les entrepôts du Petit Palais, de la Sorbonne ou du Musée de l’Assistance publique, il évoque la chance de pouvoir transmettre et partager, des notions qui sonnent vrai dans la bouche de cet ancien dyslexique et grand timide. Comme Philippe de Montebello était capable de le faire lorsqu’il dirigeait le Metropolitan Museum of Art (New York), il connaît ses collections sur le bout des doigts et parle avec la même aisance des antiquités, des œuvres que le photographe contemporain Andres Serrano présentera à l’automne ou de la commode d’Émile Gallée acquise en 2015, Le Champ du sang ou Le Sang d’Arménie, « un meuble politique avec les vers de La Légende des siècles de Victor Hugo ». Une énergie et une passion qui détonnent dans le milieu très feutré du corps des conservateurs.
Lorsqu’il arrive à la tête du Petit Palais fin 2012, le musée reçoit 400 000 visiteurs par an – ils seront 900 000 en 2016 –, des chiffres dus au succès des expositions « Paris 1900 », « Oscar Wilde » ou « Le Baroque des Lumières » comme au redéploiement des collections, mais aussi à une meilleure visibilité du Petit Palais. Sur sa page Facebook, dont un extrait a d’ailleurs figuré dans un dossier d’une épreuve orale de spécialité professionnelle au concours de conservateur en 2016, Christophe Leribault poste des photographies parues dans la presse people de la princesse Victoria de Suède inaugurant l’exposition « Carl Larsson, l’imagier de la Suède », du défilé haute couture Giambattista Valli ou de l’interview accordé en août par Jean d’Ormesson à l’émission de télévision « Drôle d’endroit pour une rencontre ». L’académicien, l’une des personnalités préférées des Français, a ainsi confié à une heure de grande écoute qu’il visitait le Petit Palais pour la première fois, une belle façon d’encourager les Parisiens à se réapproprier leur Musée des beaux-arts. Pari réussi pour le maître des lieux.
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Christophe Leribault le prince du Petit Palais
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°485 du 22 septembre 2017, avec le titre suivant : Christophe Leribault le prince du Petit Palais