Chefs-d’œuvre, travaux en cours

Fin janvier, le Louvre se prêtait à un exercice désormais obligé : le bilan d’étape d’une restauration face à la presse. Depuis la polémique disproportionnée qui a émaillé la restauration de la Sainte Anne de Léonard de Vinci en 2011, toute campagne importante sacrifie à ce rituel. L’héroïne du jour est La Belle Ferronnière, également de Léonard. Le vernis appliqué dans les années 1950 s’était oxydé drapant le tableau d’un voile jaune citron. Un allègement modéré des vernis a été décidé afin d’améliorer l’aspect du portrait tout en gardant une certaine patine qui atténue les craquelures présentes sur le visage. La campagne a déjà bien progressé et devrait s’achever courant 2015. Elle a rendu le tableau moins uniforme, plus sensuel, et le regard du personnage pétille à nouveau. Comme il se doit, l’intervention bien que menée sur une œuvre en « parfait état de conservation » a été précédée d’une batterie d’études historiques et scientifiques. En outre, comme pour toute restauration importante, le musée a réuni une commission internationale. « Cela permet d’entendre des avis extrêmement divers, notamment de restaurateurs qui sont intervenus sur Léonard avec des philosophies très différentes », explique Sébastien Allard, directeur du département des Peintures du Musée du Louvre qui ajoute : « On s’entoure d’un dispositif qui est destiné à être un lieu de débat, un garde-fou et qui peut aussi être un outil médiatique. »

La Vénus de Titien mise à nu
À quelques mètres de la Belle Ferronnière, un autre tableau poursuit une transformation bien plus radicale : La Vénus du Pardo. La toile du Titien revient de loin. Restée près de trente ans dans son atelier, elle a été plusieurs fois modifiée, dans son format et sa composition et, depuis le XVIIe siècle, elle a par ailleurs subi cinq restaurations drastiques. « C’est l’exemple de tout ce que l’on peut accumuler sur une couche picturale et qui finit par trahir l’œuvre », avance Patricia Vergez, l’une de ses restauratrices. Le tableau devenu très sombre et incompréhensible était même considéré par nombre de spécialistes comme ruiné. Jugé inexposable, il a été décroché et a fait l’objet d’une réflexion extrêmement longue. Plus de dix ans après le début d’une étude sur la faisabilité d’une restauration, il est aujourd’hui purifié de ses repeints et dégagé de ses épais vernis qui écrasaient la composition. La touche du Titien émerge à nouveau et des détails ont été retrouvés : la nature morte au premier plan est ainsi réapparue, tout comme le village. Les restauratrices poursuivent actuellement la phase de retouche particulièrement délicate car plusieurs états de la composition apparaissent par transparence ; chaque réintégration est donc discutée. L’œuvre devrait être enfin dévoilée à la fin de l’année.

Courbet retrouve son atelier
Véritable manifeste de Gustave Courbet, tant par son sujet que par ses dimensions monumentales (3,61 x 5,98 m), L’Atelier du peintre bénéficie d’une restauration très attendue. Il s’agit de la première opération réalisée en public, dans une cabine vitrée, au Musée d’Orsay. « On ne pouvait plus déplacer le tableau, tout mouvement devenait dangereux », résume Isabelle Cahn, conservateur en chef des Peintures. La grande toile souffrait de nombreux maux : craquelures, soulèvements, usure, vernis oxydés, ainsi que des retouches et repeints altérés. Menacée dans sa structure, l’œuvre l’était aussi dans sa compréhension, notamment par la succession d’interventions. « Il faut reprendre un travail de fond, de manière à stabiliser l’œuvre et à lui redonner une visibilité globale parce qu’il y avait des zones très hétérogènes », précise Cécile Bringuier, mandataire et restauratrice de la couche picturale. « Il faut essayer de rendre le tableau le plus homogène possible pour se rapprocher de l’équilibre qu’il avait à l’origine. » Une entreprise subtile, car il faut prendre garde à ne pas aller trop loin au risque de désaccorder les couleurs et l’ambiance générale, bref le mystère voulu par Courbet. « Chaque étape importante fait l’objet de décisions collégiales », rassure Isabelle Cahn. Le chantier devrait durer toute l’année, ses premiers résultats sont prometteurs. On distingue davantage de détails, de nuances dans les couleurs, d’expressivité dans les visages, tandis que se dévoilent des jeux de profondeurs auparavant noyés sous les différentes strates de vernis oxydés.

L’Agneau mystique de Gand, un chantier extraordinaire
À Gand, en Belgique, se déroule une campagne hors du commun : on restaure un joyau de la culture flamande, le retable de L’Agneau mystique d’Hubert et Jan Van Eyck. Une œuvre célébrissime qui a subi depuis 1432 toutes sortes de mésaventures ; volée, dépecée, elle a même failli disparaître après avoir été confisquée par Hitler. Bref, ce n’est plus une peinture, c’est une icône qui attire plus de 200 000 visiteurs payants par an. Comment envisager de toucher à une œuvre d’une telle aura, a fortiori de la restaurer de manière interventionniste, sans déclencher une cascade de controverses ? En étant le plus transparent possible. Le chantier est titanesque : commencé en 2012, il prendra encore plusieurs années et son résultat sera plus spectaculaire qu’initialement prévu. « Il était inenvisageable de cacher le retable pendant des années », argue Bart Devolder, coordinateur in situ de la restauration. Entreprise pour alléger les vernis jaunis qui tiraient sur la couche picturale, elle a révélé la présence de nombreux surpeints insoupçonnés et très anciens, majoritairement du XVIIe siècle. Très étendus dans certaines zones, ils recouvrent non pas des lacunes, mais la peinture des frères Van Eyck. Miracle, cette dernière est bien conservée et présente des jeux de lumière, un travail sur la tridimensionnalité et de fins modelés jusqu’ici dissimulés sous une peinture plus grossière appliquée pour redonner à l’ensemble un aspect neuf ! Un triple dispositif a été conçu pour que le public puisse continuer à voir le polyptique, et qu’il ne découvre pas abruptement le résultat. « Le public voit que la transformation est progressive, que nous procédons étape par étape pour enlever les vernis et les surpeints et, surtout, il ne découvre pas le résultat brusquement, après des années, car ce serait le plus sûr moyen pour qu’il s’inquiète sur la nature de l’intervention », estime Bart Devolder. L’opération a été scindée en plusieurs phases, la première en cours jusqu’à l’été 2016 concerne les huit panneaux du revers. Ils sont restaurés dans un laboratoire installé au sein du Musée des beaux-arts, tandis que les panneaux intérieurs du retable sont toujours exposés dans la cathédrale Saint-Bavon. Enfin, une exposition très détaillée est présentée au centre culturel provincial Caermersklooster. Elle raconte l’histoire notamment matérielle du polyptique, y compris sa précédente restauration, et dévoile les détails de l’opération actuelle. Pour l’heure, aucune polémique n’a éclaté ; preuve qu’avec une solide politique de médiation et de transparence on peut encore intervenir sur des œuvres inestimables sans déchaîner les passions.