Qatar

Golfe persique

Ambitions à la baisse au Qatar

Par Caroline Potter · Le Journal des Arts

Le 31 mars 2006 - 816 mots

Le cheikh Saud Al-Thani mis à l’écart, les projets de nouveaux musées à Doha semblent au mieux retardés.

PARIS - Inaugurée le 27 mars par le président Chirac et par l’émir du Qatar, cheikh Hamad Ben Khalifa Al-Thani, l’exposition « De Cordoue à Samarcande », au Musée du Louvre, à Paris,  présente jusqu’au 26 juin des chefs-d’œuvre des collections du Musée d’art islamique du Qatar. L’ouverture de ce dernier, à Doha, est programmée pour la fin de l’année. Conçu par l’architecte sino-américain I. M. Pei, l’édifice est l’un des trois nouveaux musées de la capitale du Qatar prévus par un ambitieux programme architectural destiné à transformer l’État de la péninsule arabique en centre culturel du golfe Persique. Mais l’avenir des deux autres musées, conçus respectivement par Santiago Calatrava et par Arata Isozaki, suscite d’inquiétantes interrogations.
Les quarante-trois chefs-d’œuvre présentés au Louvre donnent un aperçu des magnifiques acquisitions réalisées ces dix dernières années par le Musée d’art islamique. Or, les communiqués de presse concernant cette exposition omettent de mentionner le responsable de la plupart de ces acquisitions, le cheikh Saud Al-Thani. Ce cousin germain de l’émir du Qatar n’est cité nulle part, bien qu’il ait présidé le Conseil national pour la culture, les arts et le patrimoine, le service officiel en charge des musées du pays, jusqu’à sa mise à l’écart brutale il y un an (lire le JdA no 212, 1er avril 2005). Au cours de sa présidence, il fut l’élément moteur d’un programme architectural sans précédent pour doter Doha de cinq musées, dont trois à édifier, et deux dans des bâtiments existants.

« Sujet très sensible »
Pendant plusieurs années, le cheikh Saud Al-Thani a été le plus important acquéreur d’œuvres d’art au monde. Outre l’art islamique, il collectionnait dans de nombreux domaines, tels l’histoire naturelle, l’Art déco, la photographie, les antiquités et la joaillerie. Il a recruté parmi les architectes les plus réputés au monde pour construire les musées destinés à accueillir ces collections : I. M. Pei pour le Musée d’art islamique, Santiago Calavatra pour celui de la photographie et Arata Isozaki pour une Bibliothèque nationale futuriste, devant aussi inclure un département d’Histoire naturelle (lire le JdA no 191, 16 avril 2004).
Mais, aujourd’hui, l’avenir de ce programme muséal semble incertain. Le cheikh Saud Al-Thani a été écarté en février 2005 sur des soupçons de mauvaise gestion, et un nouveau Conseil a été nommé sous la présidence de Mohammed Kafud. Nos investigations nous ont aussi permis de dévoiler des factures envoyées à ce Conseil par le grand marchand londonien Oliver Hoare, pour des objets qui appartenaient déjà au cheikh (lire le JdA no 214, 29 avril 2005). Après un bref séjour en prison, le cheikh Saud Al-Thani aurait été remis en liberté, mais il ne semble pas avoir quitté le Qatar depuis plusieurs mois. Concernant ses achats, l’incertitude plane sur ce qui constitue sa collection personnelle et ce qu’il achetait pour les musées. Ses collections, dont une partie était stockée dans sa propriété familiale d’Al-Wabra, auraient été transférées à l’Émirat du Qatar et seraient en cours d’inventaire par les conservateurs du pays.
Depuis, le Musée d’art islamique s’est doté d’un nouveau directeur, Sabiha Al-Khemir, qui a remplacé Oliver Watson l’an dernier. La construction de son édifice est en voie d’achèvement sur une île artificielle en face de la Corniche, dans le golfe de Doha. Ce sont les experts en bâtiment de Turner International qui annoncent l’ouverture du musée à la fin 2006. D’après un informateur de cette société, qui a préféré garder l’anonymat, le projet Isozaki est aujourd’hui « en attente ». Sans pouvoir donner de détails, il nous a confié : « C’est un sujet très sensible sur le plan politique, et c’est tout ce que je peux vous dire. » À Tokyo, un porte-parole du cabinet d’architecture Arate Isozaki & Associates nous a confirmé qu’il y avait « des changements importants » dans le calendrier de construction.

Musée de la photographie
Les collectionneurs du Qatar continuent néanmoins à s’intéresser à l’histoire naturelle. Le 25 novembre, à Paris, ils étaient nombreux à assister à la vente dirigée par Olivier Doutrebente à Drouot. Des enchérisseurs au téléphone ont fait main basse sur des planches aquarellées de Jacques Barraband, illustrateur de la fin du XVIIIe et du début du XXe siècle, figurant des oiseaux exotiques. Selon Me Doutrebente, le cheikh Saud Al-Thani figurait parmi ces enchérisseurs du Qatar, en concurrence avec un anonyme du Moyen-Orient. Perroquet lori à collier jaune (389 202 euros), plus grosse adjudication de la vente, devrait, selon le commissaire-priseur, rejoindre le Qatar.
Concernant le futur Musée de la photographie, Claire Whittaker, de l’agence de relations publiques new-yorkaise Kreisberg Group et porte-parole du cabinet de Santiago Calatrava, nous a confirmé qu’il y avait « des changements dans le calendrier et le projet lui-même. Tout est en discussion et encore imprécis, mais je ne peux rien vous dire d’autre pour l’instant ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°234 du 31 mars 2006, avec le titre suivant : Ambitions à la baisse au Qatar

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