De Volubilis la Romaine à Casablanca l’Occidentale, en passant par les ksour berbères, les splendeurs de l’Islam, les villes impériales, les forteresses portugaises, les villages de tentes nomades et les villas contemporaines de la palmeraie de Marrakech, le Maroc témoigne d’une pluralité et d’une richesse architecturale insoupçonnées, dont rendent compte des expositions organisées dans le cadre du « Temps du Maroc ».
Qui a volé le Bacchus de Volubilis ? Depuis 1981, chacun s’interroge et se lamente. Sauf, sans doute, son heureux, mystérieux et nouveau propriétaire... Volubilis la Romaine, ouverte à tous les vents et à tous les vols, à quelques kilomètres au nord de Meknès, témoignage à la fois flamboyant et désolé de la présence romaine dans la Maurétanie Tingitane.
C’est au crépuscule qu’il faut se rendre à Volubilis, à l’heure où le soleil tombant sur la forêt des colonnades lui donne un visage féerique, fantasmagorique. Les ruines du capitole, de la “maison aux colonnes” et de la basilique flamboient soudain et transportent le visiteur hors de la réalité. Heure exquise encore, pour admirer les somptueuses mosaïques de la “maison d’Orphée”, de la “maison du cavalier” et de la “maison au cortège de Vénus”...
Avant-poste parmi les plus éloignés de l’Empire romain aux environs de l’an 40, Volubilis atteint son sommet aux IIe et IIIe siècles, au moment où sont édifiés l’arc de triomphe, le capitole, la basilique et les bains. À la différence de Lixus – autre établissement romain, proche d’Asilah, et rapidement abandonné –, Volubilis est habitée jusqu’au XVIIe siècle, époque à laquelle elle est dépouillée de ses marbres pour la construction des palais de Moulay Ismaïl, à Meknès.
Le Maroc n’est pas né avec Rome, et les gravures rupestres découvertes près de la côte nord-Atlantique racontent bien que l’homo erectus y était présent voici déjà 200 000 ans. Néanmoins, l’histoire architecturale du Maroc, fondement même de son patrimoine, s’écrit sans conteste à partir de Volubilis. De Juba II à Hassan II, deux mille ans d’architectures démontrent que le Maroc s’est sédimenté non par accumulation mais par agrégation, que civilisations et cultures s’y sont rejointes à la manière d’un puzzle et non d’un empilement.
Les Berbères
Au commencement étaient les nomades, dormant le plus souvent à la belle étoile ou dans des abris de fortune. Au fil du temps, la tente, mobile elle aussi, leur sert d’abri. Il n’est pas rare, encore aujourd’hui, dans certaines régions du Maroc et notamment dans le Haut-Atlas, de rencontrer un ou plusieurs villages de tentes. Nomades, semi-sédentaires ou sédentaires, les populations berbères avaient, en ces temps troublés, la nécessité absolue de disposer d’une structure fixe où entreposer leurs réserves alimentaires et les mettre à l’abri des bandes de pillards. Ainsi est né l’agadir, sorte de grenier à céréales communautaire, toujours édifié dans des régions montagneuses isolées. D’abord simples entrepôts, les agadirs se sont augmentés progressivement de remparts, de fortifications, de citernes et même, après le VIIe siècle, de petites mosquées. Édifiés en pisé ou en pierres sèches, selon la région, les agadirs ne sont plus qu’un vestige. Il n’en demeure que fort peu dans l’Anti-Atlas et la partie occidentale du Haut-Atlas.
Petit à petit, l’agadir va se transformer en ksar, c’est-à-dire en village fortifié. On les trouve dans les régions isolées et rudes du Sud marocain. Dressés, hiératiques et apparemment inexpugnables, dans des paysages désertiques et sauvages, cernés de murailles lisses et flanqués de tours crénelées, les plus beaux se trouvent dans les vallées du Dadès, du Drâa et du Ziz. Ocres rouges, ocres bruns, ocres brûlés, aux couleurs de la terre qui les constitue, les ksour sont construits en pisé. La partie inférieure des murs est en terre, tandis que la partie supérieure, en briques de terre cuites au four, est ornée d’incroyables décors en boue séchée.
Dans le même esprit que les ksour, les kasbahs, également fortifiées, correspondent à nos châteaux plantés sur un piton et défendant un accès ou un carrefour. Entièrement conçue pour la défense, l’architecture berbère est une architecture de simplicité et de rigueur dont la beauté tient toute entière dans la pureté absolue de ses lignes et la polychromie des terres dont elle est faite.
Les Arabes
Au VIIe siècle, l’Islam domine le monde. Du nord de l’Inde jusqu’à l’Espagne, les cavaliers arabes ont porté leur foi et leur valeur guerrière. Le Maroc, dès lors, va se couvrir de mosquées, de minarets, de medersas, de marabouts, de mausolées, tous édifices religieux à la symbolique puissante et où, au fil des siècles et selon la puissance du commanditaire, s’exprimeront à plein le talent et l’habileté d’une multitude d’artisans dont le savoir-faire perdure aujourd’hui.
Les édifices religieux, donc, ouvrent le bal. Suivra logiquement l’architecture militaire avec les citadelles, les murailles et les tours, le tout d’une grande simplicité architecturale mais dont les portes, les bab, constituent une succession de merveilles symboliques et plastiques. Symboliques, puisque leur première fonction consistait à impressionner le visiteur ou l’agresseur ; monumentales, voire colossales, elles affirmaient la puissance et le statut du maître de la ville ou de la citadelle. Richement ouvragées, elles témoignaient de sa fortune et de sa culture. En forme, le plus souvent, de fer à cheval, l’architecture de la porte comporte des petits arcs polylobés, tandis que les tympans et linteaux sont ornementés de motifs géométriques ou de fleurs, de feuilles, de coquilles. Les portes en bois massif, généralement en cèdre, sont elles-mêmes finement décorées de frises, d’ajourements ou de tuiles polychromes vernissées.
De Fès à Rabat, de Tanger à Marrakech, de Meknès à Ouarzazate, les portes monumentales sont une des marques essentielles du Maroc. On distinguera particulièrement l’un des chefs-d’œuvre de l’architecture mauresque, la Bab Oudaya édifiée à Rabat au XIIe siècle, et bien sûr la Bab el Mansour de Meknès, édifiée au XVIIe siècle par Moulay Ismaïl, qui voulait faire de sa capitale la plus belle et la plus puissante de toutes.
Hormis les portes, l’architecture militaire est sévère au Maroc. Mais les murailles de Fès et de Meknès, de Rabat et de Tarroudant, de Marrakech et de Ouarzazate dégagent un tel sentiment de puissance et de légèreté à la fois, de densité et d’impalpabilité mêlées, qu’elles donnent bien la mesure de ce pays étrange et multiple.
Passées les murailles, l’architecture religieuse et l’architecture domestique en exprimeront la complexité et la richesse, l’invention et la profonde culture. De la mosquée Qaraouyine à Fès, sans doute la plus belle du Maroc, édifiée au IXe siècle, jusqu’au palais de la Bahia construit à Marrakech au XIXe siècle, c’est le même florilège de stucs et de zelliges, d’arabesques et de mosaïques, de bois sculptés et de métaux ouvragés, la même science du décor géométrique et de la calligraphie monumentale, la même dialectique entre ombre et lumière, le même goût de l’eau, du patio, du jardin...
Pour les musulmans, la beauté de la création, le génie du lieu, l’élégance des éléments ordonnés reflètent la perfection divine ; il convient donc de bâtir, de construire, d’édifier, avec le même souci de perfection. Jusqu’aux hammams – les bains –, aux harems – les lieux des femmes –, aux dars et aux riads – les maisons à patio –, aux fondouks – les caravansérails –, qui tous procèdent de cette volonté et en témoignent.
Souci de perfection, mais également réalité du climat qui oblige, dans la composition urbaine comme dans la composition architecturale, à créer des parcours abrités et protégés tout autant qu’initiatiques. Constante fascinante où s’entrelacent des ruelles et des voûtes, des dômes et des auvents, des chicanes et des labyrinthes, dans une organisation extraordinairement logique en dépit des apparences, comme si l’arabesque et le motif géométrique sans fin constituaient le plan de base à toute ville, à toute architecture marocaines.
Les Occidentaux
C’est à partir du XVIe siècle qu’à la légèreté des tentes, à la rigueur berbère et aux splendeurs de l’Islam est venu se surajouter le rationalisme occidental. Avec, en tête, les marins et les commerçants espagnols et portugais qui, animés par le commerce des épices, de l’or et des esclaves, s’emparent de villes côtières, les fortifient et les transforment, à l’image d’Asilah, de Safi, d’Agadir et d’Essaouira, en bastions du négoce et de la chrétienté.
À la fin du XVIIIe siècle, Essaouira reconquise, le sultan Sidi Mohammed ben Abdellah en fait redessiner l’enceinte et les rues par le Français Cornut. L’architecture nouvelle d’Essaouira (sur les murailles de laquelle Orson Welles a tourné les scènes les plus spectaculaires de son Othello) fait école, et d’autres villes côtières s’en inspirent. C’est sous le protectorat français et à l’initiative du maréchal Lyautey que l’architecture européenne prend réellement pied au Maroc, et très spécifiquement à Casablanca. Dans un premier temps, la rationalisation urbaine prime et donne naissance à un style hispano-mauresque du plus bel effet. Mais Casablanca prend le visage qu’on lui connaît aujourd’hui dans les années trente. Quelques architectes, conduits par Marius Boyer inventent une variante marocaine de l’Art déco, dont l’hôtel de ville est une étonnante illustration. Un peu plus tôt, à Marrakech, le peintre Jacques Majorelle avait conçu un jardin, qui porte aujourd’hui son nom, à la végétation luxuriante au sein duquel se niche toujours une villa bleu vif étonnante.
Au lendemain de la guerre, les Français Ecochard, Perret, Laprade, Candilis ou encore Zevaco introduisent à Casablanca encore plus de rationalité, le béton, la modernité et le grand nombre. Casablanca qui reste le grand chantier du Maroc avec l’édification en 1993, à l’initiative d’Hassan II, de la plus grande mosquée du monde après celle de La Mecque. Dessinée par l’architecte Michel Pinseau, elle a été édifiée selon les règles et les normes de l’époque. Mais plus de huit mille artisans l’auront habillée de stuc et de marbre, de cèdre et de zelliges pour en faire un joyau de l’art islamique et signifier ainsi que la grande tradition artisanale marocaine est encore vivante.
La contemporanéité flamboyante, c’est du côté de la palmeraie de Marrakech qu’il faut aller la chercher. Là, des architectes tels Charles Boccara, Aziz Lamghari, Élie Mouyal ou encore Abdelrahim Sijelmassi ont réussi à tout revisiter de l’architecture marocaine et de l’architecture internationale. Souvenirs berbères et réalité islamique, réminiscences mauresques et style international, clins d’œil à Frank Lloyd Wright, Luis Barragan ou Tadao Ando s’entremêlent pour créer un ensemble s’agrégeant, une fois encore, à cette aventure architecturale qui, depuis deux mille ans, qualifie de façon plurielle le Maroc.
- Les trésors du royaume, 15 avril-18 juillet, Musée du Petit Palais, avenue Winston-Churchill, 75008 Paris, tél. 01 42 65 12 73, tlj sauf lundi 10h-17h40, jeudi 10h-20h. Quatre cents œuvres montrant comment le Maroc, de par sa situation géographique, a su intégrer de multiples influences. Scénographie de Jacques Grange, photographies de Bruno Barbey.
- L’objet désorienté, 30 mars-13 juin, Musée des arts décoratifs, 111 rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 44 55 57 50, tlj sauf lundi 11h-18h, samedi et dimanche, 10h-18h, mercredi 11h-22h. Huit artistes mettent en scène des accumulations d’objets pour montrer l’évolution des formes, des décors et des matériaux.
- La Porte de Meknès, 13 avril-30 juin, place de la Concorde, Paris. Dans l’alignement de l’Arc de Triomphe et de la Grande Arche, la Porte de Meknès, Bab El Mansour, sera reconstituée grandeur nature sur une toile peinte par des artisans marocains.
- Casablanca, expérience d’une ville, 26 mai-4 juillet, Espace Electra, Paris, tél. 01 42 84 23 60, tlj sauf lundi. Principale manifestation d’architecture du "Temps du Maroc", elle propose un panorama urbain à partir de dessins, d’affiches, de photographies d’archives et de maquettes de cette ville, théâtre de mutations et d’expérimentations architecturales et urbanistiques de 1900 à 1960.
- Le Désir du Maroc, 1er octobre- 9 janvier, Mission du Patrimoine photographique, Hôtel de Sully, Paris, tél. 01 42 74 30 60, tlj sauf lundi et jours fériés. Un panorama de la photographie au Maroc du milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours retracera l’évolution du pays et de ses habitants vue par les autochtones mais surtout par les étrangers résidents ou voyageurs.
- Portes marocaines, 8 octobre-juin 2000, Musée dauphinois, Grenoble, tél. 04 76 85 19 04, tlj sauf mardi. Marque d’identité de la maison, la porte, au Maroc, révèle par des messages chiffrés et des décors élaborés la noblesse d’âme et les souhaits du propriétaire des lieux. Une quinzaine de portes livreront pour la première fois en France leur signification.
- Matisse et le Maroc, 19 octobre-30 janvier, Institut du monde arabe, Paris, tél. 01 40 51 38 38, tlj sauf lundi. Deux voyages au Maroc, en 1912 et 1913, ont inspiré à Matisse une vingtaine de toiles et de remarquables dessins à la plume, d’où jaillissent l’architecture arabo-musulmane et la lumière du pays qu’il considérait comme un paradis terrestre.
- Le Maroc, un art de vivre, 19 octobre-30 janvier, Institut du monde arabe. Pour recréer l’atmosphère de la vie citadine marocaine, l’IMA propose un parcours composé d’un ensemble d’objets artisanaux, d’instruments de musique traditionnels, de textes, de reconstitutions et de photos d’architectures.
- Majorelle et le Maroc, 26 novembre-31 janvier, Musée des beaux-arts de Nancy, tél. 03 83 85 30 72, tlj sauf mardi. Fils de l’ébéniste Louis Majorelle, Jacques s’installe au Maroc en 1917 pour peindre et exercer sa profession de décorateur. Cette rétrospective prolonge la tradition instaurée par l’artiste lui-même de présenter régulièrement à Nancy ses œuvres aux collectionneurs.
- Delacroix : autour de "la Noce Juive" au Maroc, décembre-février, Musée E. Delacroix, Paris, tél. 01 44 41 86 50, tlj sauf mardi. Autour du chef-d’œuvre de Delacroix prêté par le Musée du Louvre seront réunis aquarelles, dessins, gravures, peintures, mais également des objets évoquant les vingt années de recherches du peintre sur la célébration du mariage juif au Maroc.
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2 000 ans d’architectures au Maroc
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°80 du 2 avril 1999, avec le titre suivant : 2 000 ans d’architectures au Maroc