La création artistique se penche régulièrement sur la procréation pour s’en inspirer, et inversement comme le signalerait un ingénu géniteur en observant Made in Heaven.
Éternel débat insoluble du paradoxe de l’œuf entre Aristote, qui défend que la poule est arrivée avant alors que Milo la Vénus milite pour le pondre. Si le nu est intimement lié à l’art, la figuration du coït s’est développée depuis l’Antiquité. Ces artistes ont excellé dans l’art de dévoiler l’intimité de l’alcôve. Leurs représentations autorisent tous les fantasmes et réveillent inexorablement le spectre de l’orgie. La recherche du plaisir semble être la quête principale de ces images et de leurs amateurs. Quelques indices laissent effectivement penser que le sexe est une composante fondamentale de la société romaine qui ne connaît ni tabou ni transgression du genre. Cette notoriété a suscité pendant les siècles qui ont suivi une sévère censure qui condamne cette première forme de pornographie à la destruction ou à l’enfermement. Aujourd’hui, les musées osent afficher ces œuvres explicites malgré la subsistance de réflexes nerveux de pudibonderie produits lors de la réception d’officiels iraniens. Pourtant, une saine curiosité permet de s’interroger sur la nature du message transmis par l’artiste. Pour rappeller l’éternelle formule d’André Breton : « La pornographie, c’est l’érotisme des autres. »
Audace et humour
En vérité, les Romains sont de vrais obsédés, qui ne pensent qu’au mauvais œil et au pouvoir prophylactique de leur « zézette ». Priape a une bonne place chez les Romains, quand ils ne se le mettent pas autour du cou, ils l’affichent en façade. Ce dieu protecteur incarne une forme exacerbée de la vulgarité qui pousse au rire. Le Romain est de nature hostile à toute forme de débauche, la loi et la tradition lui imposent d’être un modèle de vertu. Pour cautériser la licence, la tolérance permet l’usage modéré des danseuses et des courtisanes. Les représentations sont à cette image : une douce vulgarité excentrique pleine d’audace et d’humour, où l’artiste montre tout haut ce que tout le monde voit tout bas. L’art est un merveilleux moyen d’expression pour honorer la beauté d’un corps dont la qualité est perçue comme sacrée, ou honorer les dieux et leurs amours. Il émerveille le quotidien de scènes mythologiques ou répand la culture romaine. De nombreuses œuvres révèlent Zeus qui s’est transformé en cygne pour s’accoupler avec Léda ; ou Pitys se transformant en pin pour échapper aux ardeurs de l’horrible Pan.
Le lupanar de Pompéi
Malgré l’absence d’orgie, cet art à caractère sexuel souffre d’une réputation sulfureuse, conséquence de sa présence dans le lupanar de Pompéi. Nombreux sont ceux qui dénoncent le fait que ses tableautins décorent les linteaux des chambres comme une publicité au mépris de l’archéologie et de la vérité. Le décalage est considérable entre la réalité de la cellule sombre et puante d’abattage et l’image de l’opulente chambre où une aristocrate vertueuse va s’offrir sur un luxueux lit. Cette dernière porte élégamment tous les artifices de l’aristocratie. Sa peau claire, ses cheveux longs et coiffés en chignon, elle a conservé son fascia (1) pour sauver sa pudeur. Les clients n’ont pas de mal à rire du sens de cette image qui révèle l’intime vérité de la plus vertueuse matrone. Cette dernière est un symbole capital pour la préservation de l’Empire. Toute sa vie, elle demeure un exemple de chasteté et de fidélité, qui assure la bonne moralité de son époux et garantit sa descendance. Son statut est propice aux caricatures lubriques en révélant d’improbables outrages. La vulgarité est poussée à son paroxysme lorsqu’elle brandit une lampe à huile pour éclairer ses ébats. Il n’est nul besoin de recourir à la reconstitution pour admettre que cet acte est invraisemblable.
L’art romain concilie ainsi libertinage et moralité avec l’usage d’un humour potache. Le ludibrium (2) est conçu pour faire rire afin d’offrir un moyen d’évasion ludique à une société austère. L’image révèle sans fard une activité qui doit avoir lieu dans l’obscurité d’une chambre. La bonne société sait que cet art illustre la corruption des mœurs pour mieux la dénoncer. La vulgarité sert d’exutoire en stimulant un rictus qui est considéré comme un moyen pour chasser le mauvais sort. À l’instar de cette célèbre scène où l’amant décerne la palme de la victoire à sa compagne le chevauchant qui est légendé par la locution latine « tu sola nica », « Seule toi triomphes » !
(1) Sorte de soutien-gorge.
(2) Une farce.
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Rome, un exemple de tolérance de la vulgarité artistique
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Abonnez-vous dès 1 €Cyril Dumas, Les idées reçues sur l’art érotique antique. Quelques préjugés sur l’art romain, Book-e-book, coll. « Une chandelle dans les ténèbres », 80 pages, à paraître en 2016.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°451 du 19 février 2016, avec le titre suivant : Rome, un exemple de tolérance de la vulgarité artistique