Le gouvernement grec vient de demander à la France de lui prêter le morceau de la frise du Parthénon qu’elle détient, à l’occasion des fêtes du bicentenaire de l’indépendance du pays, qui auront lieu en 2021.
La France va sans doute l’accepter, en demandant en échange, comme c’est la coutume, le prêt d’œuvres de même niveau : des bronzes jamais venus en France. C’est l’occasion, une nouvelle fois, de réfléchir au retour, quand c’est possible, des trésors artistiques de chaque civilisation dans leur lieu d’origine. Et en Europe, c’est parfaitement possible.
Ces bas-reliefs du Parthénon, sculptés en 446 avant notre ère, ont été achetés en 1796 au sultan ottoman qui contrôlait alors la Grèce, par un étrange poète et diplomate français, le comte Louis François Fauvel. D’autres bas-reliefs du temple, en quantité beaucoup plus importante, l’ont été, entre 1801 et 1805, par le premier ambassadeur anglais à Constantinople, Lord Elgin, qui les a soufflés au comte Fauvel en les payant au prix fort, avec son argent personnel. Ce fut un massacre : pour arracher 12 statues des frontons, 156 plaques de la frise du temple d’Athéna, 13 métopes, la frise et une cariatide de l’Érechthéion, il fallut abattre une partie de l’Acropole, malgré les protestations de Byron et de Chateaubriand. Il fallut 200 caisses pour tout emballer et d’innombrables bateaux pour le transport jusqu’à Londres, où Elgin ne réussit à revendre ces pièces qu’à perte, en 1816 au British Museum. Seul point commun avec son rival français : ils moururent tous deux dans la misère.
Les Anglais expliquent aujourd’hui qu’il n’est pas question de rendre ces œuvres, pièces maîtresses du British Museum. Parce qu’elles ont été légalement achetées ; parce que sans Elgin elles auraient été détruites pendant la guerre civile qui suivit et parce que la Grèce n’a jamais eu les moyens, et ne les a pas encore aujourd’hui, de les conserver de façon satisfaisante. Les Grecs répliquent que l’achat d’œuvres d’art à une puissance occupante équivaut à un vol et qu’ils ont tout à fait les moyens de conserver ces pièces, surtout depuis la construction du nouveau musée de l’Acropole.
Aucun texte ne contraint la France et la Grande-Bretagne à rendre de tels trésors à leur propriétaire d’origine. La Convention de l’Unesco, qui oblige à rendre les pièces volées, ne concerne que les vols postérieurs à 1970. Et pourtant la France devrait montrer le chemin à l’occasion de la commémoration de l’indépendance grecque. Elle ne devrait pas les prêter mais les rendre. En arguant que la Grèce est un pays européen, et qu’il n’est pas digne de conserver dans un pays européen le produit du pillage d’un autre pays européen. À cette date, la Grande-Bretagne, avec le Brexit, se sera éloignée de l’Union européenne, mais elle sera toujours une nation d’Europe, quoi qu’elle dise, et elle devrait aussi rendre ces œuvres. Aujourd’hui, leur possession ne conforte que l’ego des conservateurs. Les visiteurs, eux, ne voient ces œuvres que de loin, en général à travers le seul prisme de leur téléphone. Ils ne seraient en rien privés s’ils en voyaient une copie parfaite, ou mieux s’ils se promenaient, seuls, dans une reconstitution virtuelle en trois dimensions de l’endroit. Imaginez, au Louvre, une reconstitution virtuelle du Parthénon ; ou de Mycènes, de Pergame ou de Babylone. Cela aurait une tout autre allure. On y viendra. Et les musées seront bientôt davantage des lieux de visite virtuelle, de spectacles en immersion, d’où l’on sortira en ayant appris bien des choses. Et pas, comme aujourd’hui, en ayant coché une case dans une liste dérisoire de lieux sans âme qu’il faut avoir vus.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°528 du 6 septembre 2019, avec le titre suivant : Rendez-les !