PARIS
Chaque mois, Pierre Wat raconte un jour dans la vie d’un artiste, entremêlant document et fiction pour mieux donner à voir et à imaginer.
Hier, scandale au Salon des indépendants. Quoi de plus banal… Voici bientôt six ans que les Indépendants, puis le Salon d’automne, nous ont habitués à de telles démonstrations. En 1905, ce furent les bien nommés fauves, réputés pour leur ardeur et leur férocité à démolir ce qui peut rester des principes de l’école. Désormais, il faudrait donc compter avec les « cubistes », ainsi appelés parce qu’ils transposent toutes les formes en « volumes » d’aspect solide et géométrique. Sans oublier les futuristes, qui tirent leur nom d’un manifeste de M. Umberto Boccioni, dédié à la sculpture, et construisent des statues, en toutes sortes de matières mélangées, où l’on cherche à donner une idée de mille phénomènes, mais où la forme humaine ne se retrouve plus. Je ne parle pas des totalistes, des primitivistes futuristes, des dynamistes, des transcendantalistes, des synchromistes et d’une foule d’autres, où seuls les initiés se retrouvent, à moins même qu’ils ne s’y retrouvent pas…
Notre collègue Louis Vauxcelles nous avait bien prévenus, dans un article qu’il avait fait paraître dans Gil Blas, en 1908 : « Braque construit des bonshommes métalliques et déformés qui sont d’une simplification terrible. Il méprise la forme et réduit tout, sites figures maisons, à des schémas géométriques, à des cubes. Ne le raillons point puisqu’il est de bonne foi et attendons… » Son attente n’a pas été déçue, sans doute, par le capharnaüm de bizarreries cubiques présenté dans la salle 41 des Indépendants. Ce ne sont là que puzzles colorés agressivement incompréhensibles, le pompon étant sans doute décroché par Robert Delaunay, qui livre de cette pauvre tour Eiffel une vision lamentablement vacillante. On voit là dans quelle considération cet homme tient nos monuments nationaux.
On sent bien que ces gens – je n’ose les appeler des peintres – ont trop fréquenté les musées d’ethnographie et qu’ils souhaitent offrir à notre admiration quelques fétiches des Papous ou des idoles du Bobo-Dioulasso. Dieu merci, le public n’est pas dupe. Son sentiment est unanime et il s’exprime sans ménagement. C’est tantôt de la gaieté la plus franche, tantôt de la colère. De fait, que lui donne-t-on à voir ? D’ordinaire, le visiteur, si l’œuvre représente ou interprète un coin de nature, peut la confronter avec la nature même, sinon pour en exiger l’imitation, du moins pour en démêler quelque caractère. Mais dans une œuvre « cubiste », il n’y a rien de semblable. L’auteur ne cherche nullement à tromper le public sur la qualité de son plaisir : il ne lui en donne pas. Il ne vise pas à exploiter son goût pour un aspect quelconque de la nature : il ne reproduit pas des aspects de la nature. L’objet mis sous les yeux du spectateur est tellement éloigné de toutes les apparences sensibles offertes à la vue par la vie que le public, non averti, n’y reconnaîtrait même pas, le plus souvent, un tableau ou une œuvre d’art. On dit que le scandale d’hier fut un coup d’éclat. Gageons plutôt que tout cela ne durera que l’espace d’un salon, pour le plus grand bien de l’art et de ceux qui l’aiment.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°720 du 1 février 2019, avec le titre suivant : Le Jour où… les Cubistes firent scandale au Salon des Indépendants