Politique

Attelage inédit Rue de Valois

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 31 janvier 2024 - 618 mots

PARIS

L’arrivée de Rachida Dati Rue de Valois continue d’étonner alors que la Ve République nous a déjà offert, il y a près de quarante ans, une surprise comparable suivie parfois d’une continuité aux affaires instructive. Mais le choix de Gaëtan Bruel, comme directeur de cabinet de la ministre, procure une équation inédite.

Gaëtan Bruel. © CMN
Gaëtan Bruel.
© CMN

Après 5 années flamboyantes – doublement du budget du ministère, lancement des Grands Travaux, initiatives tous azimuts –, la nomination de François Léotard en mars 1986 comme ministre de la Culture et de la Communication avait fait l’effet d’une douche glacée. Elle était la conséquence de la défaite des socialistes aux législatives et le fruit de la cohabitation Mitterrand-Chirac. Comme aujourd’hui, les milieux culturels moquaient le successeur de Jack Lang. Ils l’accusaient de ne l’avoir jamais vu ni au théâtre ni lors d’une exposition. De n’avoir aucune compétence, de préférer figurer au marathon de New York grâce aux photographes. La culture enfile un survêtement, raillait Libération. Lui aussi était jugé comme un animal politique ambitieux tentant de se forger un destin national au gré d’alliances. Lui aussi voulait d’abord obtenir un ministère régalien et devra attendre la seconde cohabitation pour devenir ministre de la Défense. Ses deux années de fonction – durée au mieux escomptée aussi pour Rachida Dati – ne laissent le souvenir d’aucune décision majeure, hormis la privatisation de la première chaîne publique de télévision, annoncée avant les législatives. Pour le reste : poursuite du chantier du Grand Louvre, en dépit de l’opposition d’Édouard Balladur, ministre de l’Économie et des Finances. Achèvement des colonnes de Buren au Palais Royal (Les Deux Plateaux), pourtant violemment contestées. Le coût de leur destruction se révélant aussi onéreux que celui de leur édification. L’opéra Bastille fera néanmoins les frais de la cohabitation. Il perdra sa « salle modulable », chère au compositeur Pierre Boulez, pourtant référence de Jacques Chirac. Ce fut donc plutôt le modus vivendi d’un « gestionnaire » et pas le cataclysme annoncé d’un « révolutionnaire », pour reprendre à la fois les craintes exprimées en 1986 et la dichotomie employée aujourd’hui par le président de la République pour galvaniser ses ministres. Contrainte des budgets déjà engagés, des marchés publics déjà signés, et lourdeurs administratives expliquent ce quasi-statu quo, cette léthargie. S’ajoutait – et peut-être avant tout – l’équipe entourant le nouveau ministre, aussi novice que lui en matière culturelle, incapable de faire de l’ombre au cabinet Lang et de définir une politique de droite, à l’exception du soutien au patrimoine. C’est devenu le lot des ministres de la Culture étrangers à leurs nouvelles responsabilités. Au lieu de s’immuniser avec des collaborateurs de forte personnalité, ils s’adjoignent des hauts fonctionnaires anonymes, sans appétence ou caractère. Le ou la ministre n’assure plus alors que son rôle de représentation, à Cannes, à l’opéra, aux vernissages…

Le choix de Gaëtan Bruel comme directeur de cabinet pourrait bousculer cette répétition. Lui est du sérail et a déjà œuvré. À la tête des services culturels de l’ambassade de France à New York, il a créé en 2021 la villa Albertine, un programme de séjours aux États-Unis profondément novateur, accueillant quelque 70 artistes chaque année et obligeant les résidences traditionnelles du ministère de la Culture à revoir leur offre. En 2016, au cabinet du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, il avait développé une Mission Cinéma et Industries Créatives pour faciliter la réalisation d’œuvres de fiction inspirées par le monde militaire.

Ce jeune normalien « disruptif », qui n’a pas achevé ses études et le revendique, est aussi un proche du jeune Premier ministre. Le tandem Dati-Bruel est donc inédit. Voire prometteur ? Le cabinet de la garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy (2007-2009) avait été agité de démissions inhabituelles peu après sa formation et ensuite. Erreurs de jeunesse, dira-t-on.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°626 du 2 février 2024, avec le titre suivant : Attelage inédit Rue de Valois

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