Chez Hazan, une remarquable monographie sur le peintre du Quattrocento italien permet de voir entre les images et de lire entre les lignes, là où se nichent le silence et le symbole, ce qui excède le verbe.
Antonello de Messine (1430, 1432-1479)n’est pas, à proprement parler, un artiste méconnu. Au pire, et ce n’est pas rien, est-il incompris, de cette incompréhension que suscite la complexité dès lors qu’elle s’agrège au talent, de cette incompréhension qui enfante des hypothèses irrésolues et des présomptions fragiles. Antonello, comme un puits à fantasmes que seule la rigueur de l’analyse peut assécher pour que parlent enfin ce Saint Jérôme (vers 1475) et cette Vierge de l’Annonciation (vers 1475-1476). Par-delà les mots.
Historiographie
Rome, printemps 2006. Une exposition mémorable, sise dans la Ville éternelle, a levé le voile sur l’artiste et a permis, aux érudits comme aux amateurs, de se pencher à nouveau sur le corps du délit. Reconnaissance des reliques, reconnaissance du génie. Qui fut vraiment Antonello, celui dont les archives perdirent souvent la trace, comme si sa vie avait dû sempiternellement se conjuguer au seul conditionnel ? Qui fut réellement celui dont les Écuries du Quirinal permirent d’admirer trente-trois des quelque quarante-six tableaux composant le catalogue étrangement étique ?
Commissaire de l’exposition romaine, Mauro Lucco livre aujourd’hui une somme édifiante, pleine de considérations intraitables et chaude de récentes recherches. Parfaitement édité par Hazan, l’ouvrage vient nous rappeler que, en dépit des analyses sagaces de Dominique Thiébaut et d’Albert Châtelet, l’historiographie hexagonale avait pauvrement étudié un artiste que, de toute évidence, l’on ne saurait approcher sans la même patience auscultatoire que celle qui engendra ces portraits aujourd’hui réunis en un splendide opus.
Incertitude
D’Antonello, on sait qu’il mourut en 1479 à l’âge de 49 ans et que, en vertu de doctes soustractions et de considérations calendaires, il naquit entre 1430 et 1432. Aussi la glose précède-t-elle la date de ses premières œuvres, influencées par son maître Colantonio, de la providentielle mention « circa », comme un aveu d’humilité et de plausibilité.
En revanche, d’Antonello on sait d’emblée le talent comme la singularité, celle qui consiste à réfléchir sur la profondeur – spatiale et psychologique –, à impliquer le regardeur par des effets perspectifs de bascule (Ecce Homo, vers 1475), à conjoindre le passé et le présent, l’éternité et l’actualité (La Crucifixion, vers 1465), l’Italie de Piero et les Flandres de Petrus. Devotio moderna où la contemplation procède moins d’une métaphysique abstraite que d’une physique vécue. Et visible.
Énigme
Entre Aragon et Anjou, Naples est une Babel féconde. On y parle de nombreux langages artistiques dont la confluence transpire dans chaque peinture. Économie des formes et goût du détail, vision déréalisée et propension naturaliste, microcosme et macrocosme, lointains infinis et présence concrète : la tension à l’œuvre chez Antonello en fait sa grâce, mais aussi son étrangeté, sans doute, celle qui suinte de ces portraits énigmatiques, de ces regards qui nous traversent pour sonder des ailleurs inaccessibles (Portrait de jeune homme, vers 1472-1473).
L’énigme, Mauro Lucco, ne renonce pas à l’affronter. Notamment celle qui voit Antonello disparaître de la cité parthénopéenne et syncrétique six années durant, de 1465 à 1471. Rien, pas un document ne porte trace du Sicilien. Un chemin de croix, peut-être, dont les œuvres sont les seuls suaires, et parmi les plus beaux. Décisive, son adoption de la peinture à l’huile lui permet d’accéder à une onctuosité et à une fluidité longtemps inégalées (Le Condottiere, 1475), aptes à rendre la « diaphanéité mi-blonde, mi-glauque de la liqueur solaire » (Roberto Longhi).
Théâtralité
Souvenirs provençaux ou flamands, retables diaprés ou panneaux privés, figures déchues ou en gloire, plaies ouvertes ou douleurs retenues : Antonello livre dans les dernières années des œuvres en tous points inoubliables (Le Christ mort soutenu par un ange, vers 1477-1478) que la présente édition reproduit admirablement. Certaines macrographies, outre qu’elles créent immanquablement un effet de sidération visuelle, permettent d’approcher cette peinture scénographiée que de récents metteurs en scène n’ont pas manqué d’exploiter (Le Christ bénissant, 1475). Le détail, comme une discrète didascalie. L’œuvre, comme un théâtre ouvert. En 1479, Antonello ne pouvait mourir qu’après avoir séjourné à Venise.
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Antonello de Messine entre les lignes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°643 du 1 février 2012, avec le titre suivant : Antonello de Messine entre les lignes