Aussi rare et plaisante soit-elle, l’exposition de la National Gallery pèche par son manque de clarté sur les débats autour de « nouveaux » Léonard.
L'événement était attendu de longue date. Et la veille de l’ouverture, la foule se pressait déjà devant le guichet de réservation. Jusqu’au 5 février 2012, une dizaine de tableaux de Léonard de Vinci (1452-1519) et plus de cinquante dessins font en effet escale à Londres pour une exposition dédiée à sa période milanaise. Soit celle de quelques œuvres majeures qui ont assis la notoriété du peintre florentin, formé dans l’atelier de Verrocchio, lors de sa présence à la cour du puissant Ludovic Sforza et jusqu’à la conquête du duché, en 1499, par les troupes du roi français Louis XII. Vinci y reviendra en 1506 au service du gouverneur Charles II de Chaumont, jusqu’en 1513. La gageure, dans ce type d’événement, est de parvenir à réunir un maximum d’œuvres représentatives.
Au moins un chef-d’œuvre de Léonard dans chaque salle
La National Gallery a, là, démontré sa force de frappe puisque tout y est rassemblé, à l’exception logique de La Cène – encore accrochée, malgré son piteux état de conservation, aux murs du cloître de Santa Maria delle Grazie de Milan –, ici représentée par une pâle copie due à Giampietrino (1500-1550), mais aussi de la Sainte Anne du Louvre, retenue à Paris pour cause de bichonnage draconien en vue d’une exportation vers le Louvre-Lens. Selon les spécialistes, une telle réunion de peintures – les dessins sont plus souvent exposés – n’avait pas eu lieu depuis 1939, lorsque le Duce avait promu à Rome une grande exposition sur le maître du génie italien. C’est dire.
La foule étant attendue pour ce block-buster à seize livres le ticket d’entrée (près de dix-neuf euros), le parcours a été simplifié à l’extrême. Chaque salle a donc été dotée d’un ou de deux chefs-d’œuvre, complétés de dessins. La première pièce cadre le décor en illustrant la révolution du portrait opérée par Léonard. Son portrait d’un jeune homme (Le Musicien, vers 1486-1487, Milan, bibliothèque Ambrosiana), inachevé comme bon nombre des peintures de Léonard, montre à quel point le peintre sait modeler les visages de ses sujets, même s’ils tiennent encore la posture du portrait traditionnel. À côté, un panneau pourtant donné à l’un de ses plus brillants élèves, Boltraffio – par ailleurs remarquable dessinateur –, manque sensiblement de substance.
Léonard ira plus loin par la suite. La confrontation de la Dame à l’hermine (vers 1489-1490, Cracovie, en dépôt au Musée national. Œuvre reproduite en couverture de L’œil), venue de Pologne pour l’occasion, et de La Belle Ferronnière (vers 1493-1494, Paris, musée du Louvre), le plus beau portrait du peintre, en témoigne. Si elle reprend des traits proches de ceux de la belle et très jeune maîtresse de Ludovic le More, Cecilia Gallerani, La Belle Ferronnière adopte une attitude distanciée inédite.
L’étrange Saint Jérôme (vers 1488-1490, Musée du Vatican), totalement inachevé à l’exception du visage, trône dans la salle suivante. Encore peu documenté, ce panneau témoigne de l’intérêt du maître pour les études anatomiques.
Les deux « Vierge aux rochers » réunies pour la première et dernière fois
Mais l’événement de l’exposition est la réunion, pour la première fois, des deux versions de La Vierge aux rochers. Elles en apparaissent singulièrement opposées. La première, toute florentine par son style, et notamment par ses visages encore empreints de l’influence de Botticcelli, sa palette – elle a fort heureusement échappé aux restaurations récentes – et son iconographie, illustre à merveille le génie du peintre. Pourtant, c’est la seconde, exécutée lors du deuxième séjour milanais, plus convenue et baignée d’une lumière froide, presque glaçante, qui aura davantage de succès.
En poursuivant avec des créations d’atelier, l’exposition ouvre aussi – sans trop le dire – le débat incontournable sur l’œuvre de Léonard. Trois pièces exposées sont en effet sujettes à caution. Proche de la palette et de la facture de Giovanni Antonio Boltraffio, la Madone Litta (vers 1491-1495, Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage) instille le doute. Idem avec un tableau achevé plus tard (Vierge à l’Enfant, vers 1499, trust du dixième duc de Buccleuch, en prêt à la National Gallery-Édimbourg), mais arborant une iconographie toute léonardesque.
Que dire enfin du grand Salvator Mundi (vers 1499), présenté comme la grande découverte de ces dernières années. En mains privées, il est exposé au public pour la première fois. Connu par une gravure et maintes fois copié, le panneau ici présenté est donné au maître pour la qualité de son doigté, au sens premier, alors que le visage du Christ est ruiné. Du fait de la faiblesse de l’appareil discursif accompagnant l’exposition, les visiteurs ne s’en rendront probablement pas compte. Mais les experts en débattront avec vigueur, en janvier, lors d’un colloque qui s’annonce animé. Le public, lui, sera déjà passé à autre chose.
Il est un sujet sur lequel il existe la théorie... et la pratique : celui du transport ou non des œuvres, eu égard à leur fragilité. Si le Louvre rechigne à de nombreux prêts en faveur des musées régionaux, il a cette fois-ci accepté de déplacer sa Vierge aux rochers, pourtant fragile depuis sa transposition sur toile. D’aucuns plaideront l’intérêt scientifique de cette exposition. Sauf que, vouloir être complet aurait supposé d’envoyer également la Sainte Anne. Et là, le Louvre avait une bonne excuse : la restauration – par ailleurs controversée – de l’œuvre. Alors comprenne qui pourra, mais c’est le monumental carton de Burlington House, œuvre graphique préparatoire à la Sainte Anne (vers 1499-1500), ô combien fragile, qui fera le voyage vers Paris en 2012, pour célébrer la restauration du panneau peint...
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À Londres, le mystère Léonard demeure
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « Léonard de Vinci : peintre à la cour de Milan » jusqu’au 5 février 2012 à la National Gallery à Londres. Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h, sauf le dimanche jusqu’à 19 h. Nocturne le vendredi et le samedi jusqu’à 22 h. Tarifs : 18 et 9 €.
www.nationalgallery.org.uk
Le vol de La Joconde célébré. Un matin d’août 1911, Vincenzo Peruggia, un ouvrier italien qui travaillait au Louvre, déroba la Joconde. Cet été, sa ville natale,
Dumenza, a « fêté » le centenaire du vol qui fut considéré alors en Italie comme un geste patriotique. Une pièce de théâtre intitulée Le procès de Vincenzo était au programme du festival et une rue devait être baptisée en l’honneur du voleur. Mais la préfecture a refusé.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : À Londres, le mystère Léonard demeure