Le peintre et dessinateur fut aussi un ingénieur auquel on a attribué de multiples inventions – ou intuitions – géniales : une machine à voler, la catapulte, le scaphandre, la bicyclette… À tort et à raison.
Ses seuls maîtres sont les éléments. Les lois qu’il applique sont celles de la nature. Le fils de Caterina, élevé en bordure des vignobles, a toute liberté pour courir et observer à sa guise. « Va prendre tes leçons dehors », lui a-t-elle dit. Le jeune Léonard comprend qu’entre le feu, le vent et l’eau, les liens sont étroits, que rien ne se construit sans eux et qu’ils sont une matière d’expériences illimitées. Cette nature toscane lui apparaît logique, parfaite, d’une admirable harmonie. Aucun champ du savoir qui ne l’intéresse. Le premier accès à la culture passe par Florence, notamment par la bibliothèque publique ouverte à San Marco par les Médicis. Il puise aussi dans les rayons de celle d’Urbino.
Un appétit insatiable de savoirs
Auprès de Verrocchio, Léonard se forme, assimile les bases de la chimie, de la métallurgie, de la menuiserie. Sans relâche, il écrit alla mancina, en écriture spéculaire. Il consigne ses pensées sur des milliers de feuillets. Sa plume trace des orages et des cintrages complexes. Ses dessins remplissent les codex dont les noms sont désormais célèbres : Atlanticus, Arundel, Trivulce, Windsor. Il apprend tout. Seul !
À 30 ans, il possède quelques ouvrages techniques. En 1495, il aura une quarantaine de volumes essentiels dont les auteurs sont Ovide, Pline, Pétrarque, Philelphe. Comment satisfaire cette volonté de devenir universel ? Aux pourquoi et aux comment, il veut des réponses précises. Personne ne part jamais de rien. Il lui faut comme à d’autres des guides sûrs pour formuler ses propres principes. Il intègre les travaux d’Alberti. Il découvre les œuvres des savants médiévaux et celles d’al-Kindi et d’Avicenne.
Passionné d’anatomie, il se fait aider par Marcantonio della Torre. S’enivrant de mathématiques, il a pour mentor Luca Pacioli. Féru de médecine, il étudie Galien. Avec Peckham, il s’initie à la perspective et l’astronomie. Il domine les théories d’Archimède et maîtrise les théorèmes de Jordanus Nemorarius. Il devient l’ami de Francesco di Giorgio Martini, rencontré en 1490, qui l’associe à ses projets d’architecture. Pour l’art militaire, il potasse Konrad Kyeser. Taccola lui enseigne l’ingénierie, Jacomo Fontana la physique. Les traités de Levi ben Gershom lui permettent de saisir les tables astronomiques. Sur la stratégie, il reprend dans son manuscrit B les recommandations de Roberto Valturio.
Un esprit de synthèse de ses devanciers
À tous il emprunte des idées, de tous il est l’héritier. Certes, derrière les inventions que l’histoire lui attribue, il est possible de remonter à leurs sources lointaines. Mais il ne prélève que pour accroître et innover. S’il s’inspire des Anciens dont il avoue être « le disciple reconnaissant », en compilant et en comparant, il les corrige et ajoute à leurs trouvailles une portée scientifique qui le fait entrer dans la modernité. La catapulte était en usage chez les Hébreux, il la dote d’un ressort qui la rend redoutable. Les roues dentées tournaient à Rome, en les associant il conçoit les engrenages multiples.
Parce qu’il cherche la totalité là où de brillants cerveaux ne voient qu’unité, il révolutionne les méthodes et les approches. Employé par Ludovic le More puis César Borgia, il se révèle ordonnateur de fêtes magnifiques et pionnier de projets inégalés. Son secret est de comprendre vite. Son don inné est de relier les phénomènes entre eux grâce à son hostinato rigore. Les noms de ses nombreux devanciers sont oubliés. Le sien demeure et reluit avec éclat. Il les dépasse tous par sa capacité d’analyse, il les surpasse tous par son aptitude à la synthèse. Ce que ses prédécesseurs ont à peine entrevu, il le développe, l’amplifie et le propulse dans l’avenir. Vitruve avait représenté un être élégant mais aux mensurations fausses. Il en fait cet Homme puissant, aux justes proportions, devenu icône mondiale de la beauté. Son génie ? Une vie au service de ce que Paul Valéry nomme d’un mot : Intelligence.
Léonard, écrivain dans l’âme, mais peu sûr de son talent, ne se lança dans l’écriture qu’après sa trente-cinquième année. Le virus des lettres contracté, il ne lâchera plus la plume, préférant celle-ci à ses pinceaux. En l’espace de quarante ans, il ne remplit pas moins de 5 000 pages de notes et de dessins qu’il compila dans des carnets. À sa mort, le maître légua à son disciple, Francesco Melzi, ses précieux manuscrits. L’élève abandonnait La Joconde au roi de France, pour remporter en Italie l’authentique héritage de Léonard : la somme de son savoir et de ses inventions.
Une publication tardive, au XIXe siècle
Un homme avait prédit l’aura extraordinaire dont jouiraient un jour les écrits du peintre. C’était Antonio de Beatis, secrétaire du cardinal d’Aragon, qui, lors d’une visite à l’artiste en 1517, pressentit que ces « innombrables volumes, seront bien utiles et d’une grande source de plaisir », à la condition qu’ils fussent publiés. Ils ne le furent qu’au début du XIXe siècle. Leur publication tardive révéla enfin les « merveilleuses recherches prématurées » de Léonard sur l’anatomie, la botanique, la mécanique des fluides et tant d’autres intuitions géniales telles que le scaphandre, le parachute, l’automobile, la bicyclette ou le sous-marin. Son chef-d’œuvre d’ingénierie, la machine volante, fut à l’origine du premier vol de l’humanité réalisé à bord du prototype que fabriqua Clément Ader, en 1890.
Les carnets de Léonard n’ont pas encore livré tous leurs secrets. Des volumes, très tôt dispersés, pourraient réapparaître, à l’instar des deux manuscrits retrouvés par hasard, en 1966, à la Bibliothèque nationale de Madrid. Le dernier volume en main privée est le Codex Leicester, acheté aux enchères par Bill Gates, en 1994, pour la somme de 30,8 millions de dollars, soit le livre le plus cher de tous les temps. Ce prix irrationnel est proportionnel à la part de mystère attachée aux manuscrits de Léonard. Leur écriture spéculaire qu’on ne peut déchiffrer qu’avec un miroir participe au phénomène. La graphie étrange de l’artiste, aux allures de code secret, devrait, après le roman de Dan Brown, le Da Vinci Code, livrer la combinaison gagnante de l’actuelle rétrospective londonienne.
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Léonard de Vinci, inventeur ou usurpateur ?
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« Léonard de Vinci. L’inventeur » d’avril à septembre 2012 à la Fondation Gianadda à Martigny (Suisse). www.gianadda.ch
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : Léonard de Vinci, inventeur ou usurpateur ?