Sociologue de réputation internationale, fondatrice du Centre de sociologie des arts, Raymonde Moulin n’a jamais cessé depuis une quarantaine d’années d’observer le développement des mécanismes du marché de l’art.
L’œil : Peut-on parler d’une typologie des collectionneurs ?
Raymonde Moulin : Chaque collectionneur se perçoit dans sa singularité. Dans mon premier ouvrage sur le marché de l’art (1967), j’ai tenté d’élaborer, à partir de l’observation des conduites significatives des collectionneurs et du contenu des collections, une classification idéale-typique des collectionneurs. Depuis lors, la relation entre l’individu et le social n’a pas cessé d’alimenter les débats sociologiques.
L’œil : On parle aujourd’hui de « collectionneurs entrepreneurs ». S’agit-il là d’une nouvelle catégorie ?
R. M. : Il faudrait sans doute distinguer le « collectionneur entrepreneur » du chef d’entreprise collectionneur. Dans le premier cas, l’usage du terme est métaphorique. On l’emploie couramment à propos de certains artistes « entrepreneurs » de leur œuvre et de leur carrière.
L’œil : De ce que vous avez repéré de la modification du rôle du collectionneur depuis une vingtaine d’années, quels sont les critères qui ont fondamentalement changé ?
R. M. : Dans les années 1970-1980, les grands collectionneurs achetaient beaucoup d’œuvres à leur émergence. Détenteurs de stocks importants, ils constituaient, avec les marchands oligopoleurs, une sorte de coalition ayant les moyens de contrôler le marché et contribuaient à la construction de la valeur de l’œuvre, à sa reconnaissance tant esthétique que financière. Depuis les années 1990, la mondialisation de la scène artistique, la globalisation du marché, l’usage de nouvelles technologies ont appelé une concentration financière accrue et une nouvelle organisation, par projet, de la production artistique. À la faveur de ces nouveaux contextes, on a assisté à l’évolution de l’entreprise-guichet vers l’entreprise partenaire. Le « collectionneur entrepreneur » est un acteur à part entière de la dynamique de valorisation de l’artiste. À l’origine du modèle, on trouve de véritables chefs d’entreprise, comme Pinault ou Arnault. Cette activité d’entrepreneur dynamique, ils la mettent en œuvre, entourés de conseillers et d’experts, dans leur engagement pour l’art. Aussi jouent-ils tous les rôles à la fois. Sauf celui d’artiste. Ils achètent, ils vendent, ils fondent des musées, ils sont propriétaires parfois de maisons de ventes, ils s’inventent curateurs…
L’œil : Jusqu’à l’amalgame même, puisque certains sont patrons de revues d’art...
R. M. : Le marché de l’art contemporain est un marché de concurrence monopolistique. Ce qui serait dans d’autres domaines délits d’initiés, conflits d’intérêts, abus de position dominante relève ici de l’appartenance au cercle le plus restreint et le plus valorisant du monde de l’art. Quand on est accusé en Bourse d’être un initié, c’est un délit ; en art, c’est la reconnaissance du collectionneur bien informé.
L’œil : Vous développez la thèse que le monde de l’art sert de modèle au monde de l’entreprise. De quelle façon au juste ?
R. M. : L’hybridation croissante des logiques propres au monde des entreprises et au monde des arts qui caractérise le nouvel esprit du capitalisme favorise cette nouvelle forme de partenariat. Les sociologues insistent sur la ressemblance entre l’organisation de l’entreprise et les organisations artistiques : la fluidité, le développement par projet, le concept d’intermittence en termes d’emploi, tout cela a été introduit dans la gestion de l’entreprise à l’instar de ce qui se passait dans le monde de l’art.
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Raymonde Moulin : « Le collectionneur entrepreneur, un acteur de la valorisation de l’artiste »
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°639 du 1 octobre 2011, avec le titre suivant : Raymonde Moulin : « Le collectionneur entrepreneur, un acteur de la valorisation de l’artiste »