Voilà plus de trente ans que le Marais tient le haut du pavé sur le marché de l’art contemporain parisien. Porté par l’ouverture de Beaubourg, le quartier est devenu un lieu incontournable dont ni la flambée de l’immobilier ni la succession des crises n’ont eu raison.
Quand Saint-Germain donne parfois l’impression de faire de la résistance, le Marais offre au contraire l’image d’un succès sans cesse reconduit. C’est bien simple : il y aurait ceux qui en sont et les autres, ceux qui rêvent d’en être.
Gays, bobos, fashionistas et collectionneurs d’art
Son attractivité tient bien sûr à sa situation géographique : placé dans un triangle délimité par la tour Saint-Jacques, Bastille et République, le Marais est très exactement au centre de Paris. Surtout, le plan de sauvegarde et de mise en valeur du quartier, voulu dans les années 1960 par Malraux, lui a donné l’image dont il jouit aujourd’hui : celle d’un lieu arty où se concentrent nombre d’institutions culturelles. Outre le Centre Pompidou et le musée Picasso, le Marais compte cinq musées, plusieurs centres culturels et maintenant la Gaîté-Lyrique. Le tout dans un périmètre au patrimoine architectural exceptionnel.
Pour autant, le Marais n’est pas « muséifié ». Bouillonnant sinon frénétique, il s’offre au contraire comme un endroit vivant, où il fait bon faire du shopping et sortir. Du côté de la rue de Bretagne, les familles venues acheter fruits et légumes bio au marché des Enfants-Rouges croisent les fashionistas débordant des boutiques de fringues de la rue Vieille-du-Temple. Si les gays y sont plus rares qu’il y a quinze ans, les jeunes Parisiens chic et branchés et les étrangers fortunés – dont quelques collectionneurs d’art – continuent à animer les terrasses de La Perle et du Progrès, les deux cafés courus du coin.
On s’en doute : il y a loin de ce quartier dynamique, mais bourgeois, au Marais populaire et industrieux du début du xxe siècle. Pourtant, selon Marie-Hélène de La Forest Divonne (Galerie Vieille du Temple), il n’y a pas vraiment lieu de céder à la nostalgie : « Certes, le Marais a beaucoup changé, et bon nombre de petits commerçants sont partis. Mais ça reste familial, on se rencontre, il y a une vraie vie de quartier. »
Du reste, ce passé artisanal et ouvrier a préparé à sa manière l’arrivée des galeries : « Parce qu’il y avait dans le secteur beaucoup d’ateliers, on y trouve de très beaux espaces avec des verrières et de bonnes hauteurs sous plafond », révèle la galeriste Nathalie Obadia. Savoureux paradoxe, l’attractivité du Marais tiendrait peut-être moins à la richesse de son patrimoine qu’aux opportunités foncières offertes par le déclin de ses artisans au cours des années 1970.
Un quartier polycentrique
Aujourd’hui, le succès du quartier est tel qu’il est difficile de dire combien s’y trouvent de marchands d’art. Le très sélectif Comité professionnel des galeries d’art en compte une cinquantaine. Il y en a beaucoup plus. Leur nombre est d’autant plus complexe à évaluer que la carte des espaces d’art ne recouvre pas exactement le territoire du quartier, qu’il y a des galeries estampillées « Marais » hors de ses frontières « naturelles » et d’autres qui ne seront jamais considérées comme telles, alors même qu’elles y sont situées.
Mais y a-t-il un Marais ? Les galeries du quartier semblent plutôt regroupées en pôles géographiques distincts. Le premier d’entre eux s’étend à l’ouest de la rue du Renard, et Beaubourg en est le centre névralgique. C’est d’ailleurs autour de l’institution naissante qu’a éclos le Marais des galeristes, lorsqu’à la fin des années 1970 quelques jeunes pionniers viennent y défendre une autre idée de l’art contemporain. Parmi eux, Yvon Lambert : « Quand je suis venu m’installer rue du Grenier-Saint-Lazare, explique-t-il, les bonnes galeries étaient rive gauche et à Matignon. Tout le monde me disait : « C’est trop loin, les gens ne viendront jamais te voir ! » » Avec une poignée de marchands, dont Daniel Templon, l’homme a ouvert la voie à tous ceux qui prospèrent aujourd’hui dans le voisinage du musée : Catherine Putman, agnès b., Nelson-Freeman, Anne de Villepoix, Bernard Ceysson, JGM. Galerie, Polad-Hardouin...
Pourtant, l’épine dorsale du quartier n’est plus si proche aujourd’hui de l’institution pompidolienne. Elle s’est déplacée vers l’est, entre la rue Vieille-du-Temple et la rue de Turenne, où sont actuellement installées les trois « locomotives » du Marais : Yvon Lambert, Emmanuel Perrotin, Thaddaeus Ropac, ainsi que des galeries bien établies (la bien nommée Galerie Vieille du Temple, Michel Rein...). Autour d’eux, se distribuent les galeries des rues Saint-Claude et des Arquebusiers (Anne Barrault, Art: Concept, Chez Valentin, Éric Mircher, Galerie Lahumière rue du Parc-Royal…), et celles des rues Charlot et du Perche (Chantal Crousel, Frédéric Giroux, Lazarew…) qui résistent mordicus à l’invasion des boutiques tendance.
Plus récemment, une troisième zone de galeries s’est développée dans le périmètre des Arts et Métiers. Tenant tout à la fois du Sentier et du quartier chinois, et située dans une portion plus populaire du Marais, elle forme autour de La B.A.N.K un pôle émergent où se regroupent une petite dizaine de galeries qui espèrent tirer bientôt bénéfice de l’ouverture de la Gaîté-Lyrique : « À terme, le lieu pourrait devenir un bon point de repère », explique Marie-Céline Somolo (La B.A.N.K).
Enfin, il faut citer un dernier groupe de marchands d’art : ceux de la place des Vosges, qui vendent au kilomètre des œuvres clinquantes. La condescendance qu’ils suscitent invariablement dessine par contraste l’identité des galeries du Marais : des lieux jeunes, dynamiques, centrés sur le travail d’exposition et dont l’activité consiste à découvrir, suivre et mettre en valeur des artistes vivants, comme l’a bien compris la galerie Jeanne-Bucher, basée à Saint-Germain-des-Prés et qui a ouvert un deuxième espace plus prospectif rue de Saintonge, à côté de la galerie Marion Meyer. « Le quartier a agrégé des galeries qui ne considèrent pas seulement l’art comme un commerce, mais qui ont un projet esthétique », précise le galeriste Laurent Godin. De fait, le Marais se distingue d’autres quartiers de galeries parisiens par sa prédilection pour l’art contemporain et la part relativement faible qu’y prend le second marché.
Le syndrome Soho
Pourtant, certains s’interrogent : la gentrification du quartier et l’arrivée des boutiques branchées ne menacent-elles pas à la fois l’image des galeries et leur équilibre financier ? Non seulement le prêt-à-porter justifie l’amalgame de plus en plus fréquent entre art et mode, mais il pourrait à terme fragiliser l’économie déjà précaire des galeries d’art : « Les magasins de fringues viennent s’installer dans un quartier parce qu’il y a des galeries, décrit Olivier Antoine (Art: Concept). Les grandes marques arrivent, l’immobilier flambe et les galeries partent. C’est ce qui s’est passé à Soho… »
Le Marais, quartier en déclin ? Personne n’y croit vraiment. « Contrairement à New York, il n’existe pas d’alternatives à Paris, affirme Laurent Godin. Il y a ici une réalité géographique qu’on ne peut pas nier. Quant à l’embourgeoisement du quartier, il n’est pas une menace : malheureusement, on n’installe pas un magasin de haute couture en Seine-Saint-Denis… »
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Les quartiers de Galeries à Paris : Le Marais
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°635 du 1 mai 2011, avec le titre suivant : Les quartiers de Galeries à Paris : Le Marais