Si l’on peine à imaginer Saint-Germain-des-Prés ou le Marais sans marchands d’art, il y a toujours eu des tentatives d’essaimage qui ont plus ou moins réussi. Dernières en date : dans le Xe arrondissement et à Belleville.
Jusqu’à présent, tous les pronostics ont toujours été démentis, les nouveaux lieux « où il faut être » se sont succédé sans jamais réellement modifier la cartographie du marché parisien. Ainsi dans les années 1980, on pariait que Bastille deviendrait le nouveau cœur battant de l’art contemporain. Aujourd’hui, parmi les galeristes venus s’installer dans le quartier à l’époque, rares sont les survivants.
Vingt ans plus tard, la rue Louise-Weiss connaissait un sort comparable. Initiée et largement subventionnée par Jacques Toubon, alors maire du XIIIe arrondissement de Paris, cette greffe de l’art contemporain dans le voisinage de la Grande Bibliothèque s’est finalement soldée par un exode massif. Son échec tient d’abord à l’isolement du quartier – trop excentré pour attirer les collectionneurs, trop calme pour les amateurs d’art et les badauds qui ne trouvaient là ni cafés ni commerces, aucun des éléments qui animent un lieu. On pointe aussi une implantation artificielle et résultant d’un calcul politique quand tous les quartiers de galeries parisiens sont au contraire nés au fil du temps. Enfin, certains soulignent l’absence sur place d’opportunités foncières : « Les galeries se déplacent là où il y a du potentiel de développement, explique Olivier Antoine (Art : Concept), transfuge de la rue Louise-Weiss. Or, dans le XIIIe, la mairie ne faisait plus d’efforts pour développer les lieux ; les espaces devenaient trop petits et les galeries sont parties en chercher de plus grands. » Ainsi, après avoir joué les locomotives pendant quelques années, la plupart des galeristes du XIIIe arrondissement (Emmanuel Perrotin, Olivier Antoine…) sont sagement retournés vers l’ouest.
Le Xe arrondissement et la tentation de l’art contemporain
Et aujourd’hui ? C’est en périphérie du Marais, justement, qu’évolue la géographie des galeries parisiennes. Au nord-ouest, un nouveau quartier se dessine autour de la bouillonnante rue du Faubourg-Saint-Denis. La rue Martel, qui comptait déjà la galerie du même nom (spécialisée dans l’illustration et la bande dessinée), accueille depuis mi-mars un vaste espace dédié au graffiti : Galerie Wallworks. La programmation des deux lieux esquisse le portrait type des habitants du coin : jeunes, « bobos » et férus de cultures urbaines.
Plus à l’ouest, dans la rue de Maubeuge, l’association Rosascape cumule édition d’œuvres contemporaines (livres d’artistes, impressions en série limitée…), production artistique, expositions et conférences. Dans le même esprit, la galerie Poggi & Bertoux entend « profiter de sa position dans un quartier cosmopolite pour développer un rapport au public plus privilégié et réfléchir au sens aussi bien qu’au fonctionnement d’une galerie au début du xxie siècle ».
Belleville, « où prendre le risque de tout commencer »
Mais s’il existe un possible eldorado des galeries d’art contemporain, c’est à Belleville qu’il faut le chercher. Attirés là par l’ouverture du FRAC en 2003, le dynamisme de feu La Générale et des loyers encore abordables, une dizaine de marchands, dont Cosmic Galerie, Suzanne Tarasiève et Jocelyn Wolff, en ont fait un nouveau point de repère sur la carte des galeries parisiennes. Depuis un an, le lieu a même sa biennale d’art. Créé par un groupe de critiques et de curators, l’événement a achevé d’attirer l’attention du public et des professionnels sur le quartier.
Si la proximité du Plateau a certainement joué un rôle dans l’essor de Belleville, celui-ci tient aussi pour beaucoup à la témérité d’un marchand : Jocelyn Wolff. Tout comme l’arrivée d’Yvon Lambert dans le Marais il y a trente ans a dynamisé le quartier, l’installation de Wolff rue Julien-Lacroix un an après l’ouverture du FRAC a servi d’exemple à nombre de galeristes, en montrant qu’il était possible de survivre hors des circuits balisés. Pour Jocelyn Wolff, venir à Belleville était en effet une façon de jouer l’écart, et donc de marquer sa singularité : « Dans ce métier, il y a beaucoup de suiveurs, confie-t-il. Si vous savez prendre des risques et que vous offrez une programmation exigeante, les gens le remarquent. »
Suzanne Tarasiève, qui a quitté la rue Louise-Weiss pour un très bel espace de la villa Lods, résume d’une phrase l’intérêt de Belleville : « Ici, on peut prendre le risque de commencer. » Même son de cloche chez Marcelle Alix, jeune galerie ouverte il y a un an et demi : « Les charges restent modérées et nous permettent d’exposer de très jeunes artistes. » Et à l’adresse de ceux qui craignent que Belleville ne connaisse le sort de la rue Louise-Weiss, on souligne que le contexte est bien différent. Non seulement les galeries se sont installées ici de manière « naturelle », mais elles ont trouvé place dans un quartier vivant et animé. « C’est un endroit très parisien qui permet d’être en contact avec la société française dans toute sa complexité, précise Jocelyn Wolff. Non seulement c’est le point d’arrivée des nouveaux migrants depuis un siècle, mais il existe ici une vraie mixité. Il y a aussi une bourgeoisie bellevilloise ! » On y trouve également nombre d’artistes, dont certains, comme Jean Faucheur et les peintres de La Forge, ont contribué à leur manière au rayonnement du quartier en ouvrant, rue Oberkampf, une galerie à ciel ouvert dédiée au Street Art : le M.U.R.
Pourtant, Belleville reste encore en marge du circuit des collectionneurs. Certes, comme le note Jocelyn Wolff, « il n’y a que les gens qui n’y sont jamais allés qui pensent que c’est loin ». Mais les galeristes ont beau répéter que le quartier n’est qu’à quatre stations de métro de Beaubourg, certains amateurs rechignent encore à venir. Qu’on prenne le Centre Pompidou comme point de repère est d’ailleurs révélateur, et souligne combien l’institution, et avec elle le Marais, demeure un horizon incontournable. Ainsi, face au succès de sa galerie bellevilloise, Suzanne Tarasiève a décidé d’ouvrir prochainement un second espace du côté de la rue Charlot. Elle y exposera des artistes plus confirmés…
L’emplacement, clé du succès pour une galerie parisienne ?
Son exemple, comme tant d’autres, montre qu’il est difficile de maintenir une activité de marchand en dehors des quartiers où se concentrent les galeries. Philippe Chaume, qui n’est pourtant séparé du Marais que par la place de la République, explique ainsi le phénomène : « Mes clients habitent les beaux quartiers et travaillent beaucoup ; leur emploi du temps hyperchargé ne leur laisse que le samedi après-midi pour faire les galeries. Dans ces conditions, si vous êtes excentré ou situé à l’écart d’un circuit, vous entendrez souvent vos collectionneurs se plaindre que vous êtes trop loin. »
Beaucoup affirment donc qu’être situé dans le Marais, c’est s’assurer 20 à 30 % de chiffre d’affaires en plus. Car malgré la part croissante des transactions pendant les foires, l’emplacement demeure la loi du commerce. Même si, comme le rappelle Yvon Lambert, « dans [le] métier [de galeriste], il y a une chose qui compte infiniment plus que le quartier. C’est la programmation. Ce sont les artistes qui font la qualité d’une galerie… »
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Le Paris des galeries de demain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°635 du 1 mai 2011, avec le titre suivant : Le Paris des galeries de demain