Olivier-René Veillon - Tout Hollywood dans nos musées

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 15 novembre 2010 - 1896 mots

L’homme qui promeut le Louvre et Versailles à Hollywood n’est pas seulement cinéphile. Collectionneur de livres rares, il est aussi auteur d’essais sur l’art.

Directeur de la Commission du film d’Île-de-France, vous côtoyez nombre de cinéastes que vous incitez à venir tourner dans la région capitale. Pourtant, vous semblez aimer au moins autant la littérature que le septième art. Qui vous a transmis ces passions culturelles ? 
Olivier-René Veillon : Je suis issu de la bourgeoisie de province, j’ai passé mon enfance près de La Rochelle. Il y avait peu d’activités culturelles et la lecture était pour moi structurante. À 17 ans, j’aspirai à quitter ce lieu retiré. J’ai présenté le concours général de philosophie pour entrer à Normale sup’ et le lycée Henri-IV m’a ouvert les portes de son hypokhâgne. Normale sup’ Saint-Cloud a entretenu mon goût des livres, des bibliothèques, lesquels sont pour moi des emprises symboliques sur le monde. Les livres constituent autant de rencontres de personnalités diverses.  Déjà, lorsque j’étais élève au lycée Eugène-Fromentin, je me suis intéressé à ce peintre rochelais très marqué par Delacroix, également écrivain. Son roman Dominique, qui a influencé Proust, a suscité chez moi une vive émotion. J’ai aussi apprécié Henry James, René Char, Breton, Lorca, le poète Guy Lévis Mano, le graphiste Robert Massin. Adolescent, j’adressais des lettres aux écrivains que j’aimais tels Louis-René des Forêts, Alain Robbe-Grillet… 

Comment êtes-vous devenu collectionneur d’éditions rares ?
Mon intérêt pour les livres anciens s’est forgé dans la continuité de mon goût pour la lecture. Les livres anciens sont des objets d’art, mais j’aime aussi l’histoire qu’ils racontent : la passion de ceux qui les ont conçus, écrits, fabriqués, protégés, afin qu’ils traversent les siècles. Ce qui me frappe le plus chez le collectionneur ? Cette compulsion qui relève du manque, cette pulsion qui pousse à refaire le monde, car on le voit tel qu’il est, dans sa dimension chaotique. Le livre apporte cette utopie d’un monde habitable, où chaque chose est à sa place. Montaigne a décrit cela, ce grand moderne qui activait sa pensée en se promenant dans sa bibliothèque. 

Quel genre de livres possédez-vous ? Et où les dénichez-vous ?
Lors de mes voyages et de mes déplacements, je furète toujours dans les librairies, chez les antiquaires. La bibliophilie ne nécessite pas forcément beaucoup d’argent, mais exige du savoir. Je possède de précieuses éditions originales de Flaubert trouvées ici ou là. Ainsi, j’ai mis la main sur une photo de Chris Marker dans une librairie de Santiago du Chili ! J’avais eu l’occasion de croiser cet écrivain, réalisateur et photographe. J’ai ressenti une émotion particulière à dénicher cette perle si loin, le jour de la fin symbolique de la dictature !  De même, j’ai trouvé une des premières éditions de Pétrarque à Venise. Je possède aussi des correspondances entre les poètes : Henri Michaux, Francis Ponge, Jean Paulhan… Et des envois d’Henri Michaux au peintre figuratif Balthus. Ce sont des moments de l’histoire littéraire. 

Certaines périodes vous intéressent-elles plus que d’autres ?
Oui, les années 1850-1860 sont passionnantes avec ces échanges entre Flaubert, George Sand et Fromentin, et plus tard entre Mallarmé et Paul Valéry. Également les années 1920-1930, exceptionnelles pour l’édition en France, avec la Nouvelle Revue Française ou les Éditions de la Sirène qui ressortaient des œuvres majeures tombées dans l’oubli, donnant une tribune à Blaise Cendars, Jean Cocteau, Van Dongen, Fernand Léger, Raoul Dufy. Je détiens Le Bestiaire ou Cortège d’Orfée d’Apollinaire illustré de planches de Dufy ainsi que des originaux d’Henry James et je travaille avec un scénariste à l’adaptation cinématographique de son roman Les Ambassadeurs. 

Pourquoi, vous qui êtes passionné par les livres, avoir choisi une carrière plutôt marquée par l’audiovisuel ?
Mon premier essai, je l’ai écrit à 20 ans, sur les arts visuels et la télévision. J’ai une passion pour les arts de la représentation en général, pour la reproduction technique, depuis la lithographie et la photo jusqu’au cinéma. J’ai beaucoup travaillé sur les textes du critique d’art Walter Benjamin. Son œuvre a organisé mon rapport au cinéma. Lycéen, je m’occupais du ciné-club, puis à l’École normale j’avais créé un séminaire d’études sur le cinéma.  Mon intérêt pour la photo est plutôt né de rencontres : l’un de mes camarades de classe était Hervé Guibert, écrivain, critique, photographe. Nous fréquentions beaucoup les galeries, notamment Agathe Gaillard, rue du Pont-Louis-Philippe. Lorsque j’ai travaillé sur Arte, nous avons coproduit La captive du désert, c’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Raymond Depardon. J’ai d’ailleurs une photo de lui représentant une caravane dans le désert.

Vous débutez à la Sofres, comment vous retrouvez-vous à lancer la chaîne de télévision culturelle Arte ?
J’ai rencontré Pierre Weill, le créateur de la Sofres, qui m’a confié des études sur les médias. Puis, chargé de mission à la Compagnie générale de vidéocommunication, j’ai assuré la direction générale d’Eurosport France. De Londres, où nous étions installés, nous avons lancé la première chaîne multilingue. Ensuite, j’ai participé à la création d’Arte aux côtés de Jérôme Clément et d’André Harris.  Pour la filiale Arte Vidéo, nous avons produit un film d’Alain Cavalier sur Georges de La Tour à l’occasion d’une grande exposition sur le peintre. Télérama avait préacheté 60 000 cassettes pour ses abonnés. C’est à cette époque que j’ai commencé à collaborer souvent avec des musées tels que le Louvre ou Orsay, à l’occasion de diverses productions.  Henri Loyrette, alors à Orsay, a été l’un des premiers à jouer le jeu. On comprend pourquoi sa politique à l’égard des tournages est si éclairée aujourd’hui. Nous avons aussi travaillé avec le directeur du musée des Beaux-Arts de Nantes lors d’une exposition sur l’avant-garde russe, avec des œuvres retrouvées juste après la perestroïka, et produit un documentaire sur le musée de Grenoble avec Serge Lemoine…

Directeur général de TV France international, puis directeur international de Télé Images et enfin directeur général adjoint de MK2, votre carrière s’oriente alors vers l’étranger où vous allez promouvoir les programmes français dès la fin des années 1990…
Une période où les pouvoirs publics n’avaient pas encore mesuré les enjeux pour la production hexagonale et pour la promotion de notre territoire. À MK2, j’ai rencontré de grands cinéastes comme Chabrol ou Kiarostami, et le fondateur, Marin Karmitz, homme de pouvoir exigeant, parfois dur, mais fin et cultivé, grand amateur d’art [lire L’œil n° 612].  C’est en 2004 que Jean-Paul Huchon, président du conseil régional d’Île-de-France, m’a proposé de plancher sur un projet pour attirer les tournages. Cette région est riche de paysages à proposer aux créateurs du monde entier pour qu’ils se nourrissent de son substrat artistique, tout comme l’école de Paris dans les années 1930 avait réuni des peintres de partout. À la différence près que le septième art exige des conditions techniques, requiert des financements d’une autre ampleur que la peinture. Cette mission est un beau challenge en termes de rayonnement culturel, mais aussi d’emploi pour la filière audiovisuelle et cinématographique.

C’est ainsi que vous avez demandé à Henri Loyrette, patron du Louvre, de vous accompagner à Hollywood. Idem pour Versailles ou le Centre des monuments nationaux présents sur votre stand à Cannes depuis plusieurs années ?
Oui et ils sont maintenant tous bien rodés ; ils ont compris l’impact d’un tournage sur la notoriété d’un site. Nous invitons aussi des scénaristes étrangers en résidence en Île-de-France afin qu’ils aient l’idée d’inscrire leurs histoires dans nos décors. Il suffit de voir l’accroissement de la billetterie au Louvre après le Da Vinci Code ou à Versailles après Marie-Antoinette. L’effet est le même lorsque Jean-Jacques Aillagon convie des artistes contemporains tel Murakami à Versailles. C’est très bien pour l’ouverture internationale de la région et cela s’inscrit dans la culture traditionnelle populaire japonaise depuis le xviiie siècle, dans la lignée d’Hokusai.  De même, le Louvre, très ouvert à l’art contemporain avec Twombly ou Kiefer, a fait un travail étonnant et prouvé la capacité du bâtiment à être un lieu de gestes artistiques contemporains forts. Mais l’Île-de-France regorge de sites moins connus comme l’abbaye de Royaumont ou le musée Mallarmé ; nous avons répertorié plus d’un millier de lieux intéressants pour des tournages. Ce n’est pas un hasard si l’Île-de-France a autant séduit les écrivains et les peintres. 

Cet été, elle a aussi beaucoup séduit les cinéastes étrangers…
Oui et pas des moindres : Scorsese, Eastwood, Woody Allen… Loyrette au Louvre, Aillagon à Versailles, Isabelle Lemesle au Centre des monuments nationaux, adhèrent à ces tournages, car le cinéma génère un nouveau public. Et pas seulement les longs métrages américains. Le film Nodame Kantabile a renouvelé l’image de Paris auprès des jeunes Japonais… 

Vous êtes un rat de bibliothèque, mais aussi de musée ; quels sont vos sites préférés ?
À Tokyo, j’aime beaucoup le musée Ukiyo-e dédié à l’art de l’estampe, à l’atmosphère si particulière. Comme j’ai une réelle passion pour Poussin, à qui j’ai consacré un livre, je suis allé dans tous les musées qui possèdent ses œuvres, à l’exception de Melbourne où pourtant se trouve Le Passage de la mer Rouge ! Inconditionnel de la salle Poussin au Louvre, je suis reconnaissant à Pierre Rosenberg et à Henri Loyrette d’avoir enrichi cette collection avec La Fuite en Égypte.  J’aime aussi beaucoup Cernuschi et Guimet. C’est le roman du poète Victor Segalen, René Leys, qui m’a initié à l’art asiatique. Henri Cernuschi était un personnage singulier, sa collection est plus étonnante encore que celle de Guimet. Il a déniché un immense bouddha à Tokyo, le lendemain de l’incendie du temple, l’a racheté et fait venir en France. En 1871 ! L’œuvre est arrivée deux ans après lui ! C’était un aventurier absolu, romanesque. J’apprécie aussi le petit musée Gustave-Moreau qui rassemble toute l’œuvre graphique d’un grand peintre… 

Quel genre d’ouvrage avez-vous consacré à Poussin ?
 Il s’agit d’un roman, La Poussière de Rome, dont Nicolas Poussin est le personnage principal. L’ancien président du Louvre, Pierre Rosenberg, a eu la gentillesse d’y réagir très favorablement. J’ai consacré aussi un livre à Cézanne : il y a une pédagogie absolue dans chacun de ses tableaux, une leçon impérative. J’ai écrit également sur Daumier, le peintre, pas le caricaturiste, au talent prolifique, mais méconnu : il a réalisé 4 000 lithographies. Malheureusement, il n’a pas été considéré comme un peintre, sauf par Baudelaire et par Paul Valéry.  Les historiens d’art ont tendance à catégoriser les artistes et à accorder trop d’importance à leur dimension institutionnelle, négligeant ceux qui n’ont jamais exposé. La seule exposition qui ait été consacrée à Daumier a été montée à sa mort par Victor Hugo. En fait, la relation entre littérature et arts visuels, entre écrivains et peintres ou photographes, me fascine. J’ai une photographie de Walter Benjamin par Gisèle Freund, de Daumier par Nadar. Je m’attache aux artistes comme Jean Hélion, Henri Michaux, Eugène Fromentin, à la fois peintres et écrivains. Claudel, Proust ont aussi très bien écrit sur la peinture. C’est pourquoi j’ai été très fier que l’artiste Bruno Macé développe une œuvre picturale à partir de textes issus de La Poussière de Rome.

Biographie

1954 Naissance dans les Deux-Sèvres.

1976 Élève à l’École normale supérieure.

1882 Directeur d’études à la Sofres.

1990 Directeur de la communication, du développement et des affaires commerciales de la Sept-Arte, il participe à la création d’Arte.

1997 DG de TV France international.

2001 Directeur général adjoint de MK2.

2004 Directeur de la Commission du film d’Île-de-France.

2008 Publie Daumier, d’une révolution à l’autre.

Le Bouddha Amida du musée Cernuschi
L’« aventurier absolu », selon Olivier-René Veillon, Henri Cernuschi découvre en 1871, sur les ruines d’un temple de Tokyo brûlé la veille, un bouddha Amida du xviiie siècle. Il l’achète et fait découper en morceaux cette immense statue de 7 tonnes pour l’expédier en France. Accueillant les visiteurs de la salle du premier étage du musée Cernuschi de Paris, ce bouddha ne pouvait pas mieux trouver sa place : son temple d’origine était dédié à l’enseignement et les gestes de ses mains symbolisant l’argumentation invitent à la discussion.

Monuments, stars du 7e art
Jusqu’au 13 février 2011 à la Conciergerie de Paris, décors, costumes et extraits de films retracent l’histoire du rôle joué par les monuments français dans le cinéma. L’exposition, « Monuments, stars du 7e art », est accompagnée d’un catalogue qui analyse la façon dont ce patrimoine fut utilisé, réinventé ou magnifié par les équipes. Une histoire qu’Olivier-René Veillon s’emploie à enrichir aujourd’hui. (Binh dir., Monuments, stars du 7e art, Éditions du Patrimoine, 256 p., 45 e.)

 Poussin dans le texte
Olivier-René Veillon a publié en 1994 chez Deyrolle Éditeur le roman La Poussière de Rome (épuisé). Ce journal imaginaire, qui s’inspire des écrits de Poussin, est le récit à la première personne d’un peintre français exilé à Rome. Autre parcours exceptionnel : celui de La Fuite en Égypte de Poussin qui est le sujet de l’ouvrage édité en septembre 2010 par le musée des Beaux-Arts de Lyon et Somogy (I. Dubois-Brinckmann, S. Laveissière, La Fuite en Égypte 1657, 232 p., 35 e). Longtemps disparue, l’œuvre redécouverte en 1986 a fait l’objet en 2007 d’une mobilisation exceptionnelle de la part du musée du Louvre et du musée des Beaux-Arts de Lyon qui s’associèrent à des mécènes privés pour qu’elle entre dans le domaine public.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°630 du 1 décembre 2010, avec le titre suivant : Olivier-René Veillon - Tout Hollywood dans nos musées

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