Implantée depuis 1993 dans une ancienne colonie britannique d’artistes, la Tate St Ives rouvre au public après un important chantier de rénovation et d’agrandissement. Si sa visite se mérite, le lieu vaut le détour.
« Voilà pourquoi il s’agit du plus beau des musées ! », lâche, goguenard, le chauffeur de taxi qui nous dépose au pied de la Tate St Ives. En cette radieuse matinée d’automne, on serait presque tenté de lui donner raison, la lumière dorée et le bleu turquoise, presque caraïbe, de l’océan formant en effet un écrin idyllique pour ce musée. On comprend alors instantanément ce qui a motivé les décideurs à choisir ce site pour ériger un établissement en l’honneur des colonies d’artistes modernes qui se sont implantées dans cette séduisante station balnéaire des Cornouailles. Campé face à l’Atlantique et bordé d’une pointe rocheuse dominée par une chapelle romantique, le musée est aussi lové contre le vieux cimetière ; un véritable must pour les amateurs de patrimoine funéraire.
Pourtant, créer de toutes pièces un musée d’envergure ici était un pari audacieux, car découvrir St Ives, cela se mérite. Il faut ainsi compter plus de cinq heures de train depuis Londres, mais le trajet en vaut la chandelle puisque cet ancien village de pêcheurs possède un charme fou avec sa profusion de cottages historiques transformés en ateliers, ses chaleureux salons de thé et ses innombrables pubs – le plus célèbre d’entre eux, le Sloop Inn est entré dans les annales pour avoir été le théâtre d’une bagarre homérique impliquant un certain Francis Bacon. Sans même parler de sa végétation étonnamment luxuriante et exotique, due au microclimat qui baigne l’extrémité occidentale des Cornouailles.
Contrairement à nombre de hauts lieux artistiques attirant le chaland, St Ives a heureusement su conserver son authenticité sans sombrer, non plus, dans l’écueil de la ville-musée. L’un des exemples les plus frappants de cet état d’esprit se trouve à quelques encablures du musée : au détour d’une ruelle, face à une église devenue galerie d’art, le visiteur découvre les ateliers et les caves Porthmeor, une institution centenaire et atypique qui rassemble, sur un même site, des ateliers d’artistes, toujours en activité, et des espaces réservés aux pêcheurs qui peuvent notamment y ravauder leurs filets.
Cette singulière tradition de cohabitation a d’ailleurs inspiré à l’artiste Mark Dion une vaste installation : The Maritime Artist. En venant travailler à St Ives, l’Américain a mis ses pas dans ceux de prestigieux prédécesseurs puisque, depuis le XIXe siècle, la station balnéaire attire de grands noms. Turner, Sickert et même Whistler sont venus y peindre, attirés par la lumière irrésistible de cet endroit mais aussi par ses paysages réputés. Toutefois, malgré leur aura, ces artistes ne firent étrangement pas d’émules. Il faudra attendre l’entre-deux-guerres pour qu’éclose l’école de St Ives.
En 1928, Ben Nicholson et Christopher Wood visitent le village et découvrent le peintre naïf Alfred Wallis. Cette rencontre avec le pêcheur-artiste orientera grandement l’évolution de ces deux artistes. Une décennie plus tard, alors que la guerre gronde, Nicholson et son épouse, la sculptrice Barbara Hepworth, se réfugient à St Ives. Avec leur ami le constructiviste russe Naum Gabo, ils forment une colonie d’artistes rassemblée autour d’un idéal esthétique : l’abstraction géométrique. La petite bande explore alors les voies les plus radicales de l’art de son temps et la tranquille bourgade s’impose comme le cœur battant de la modernité en Grande-Bretagne, et ce, jusque dans les années 1960. Ces pionniers sont rapidement rejoints par des artistes plus jeunes. Cette nouvelle génération convoque progressivement ses propres références et sources d’inspiration, notamment une abstraction plus lyrique et expressionniste. Wilhelmina Barns-Graham, Terry Frost, Roger Hilton, Peter Lanyon et, bien sûr, Patrick Heron reprennent alors le flambeau.
À la fin des années 1980, la région décide de faire revivre cet héritage prestigieux et demande à la Tate Gallery de l’aider à ramener les principaux acteurs de l’école de St Ives là même où ils ont créé leurs œuvres emblématiques. La région, alors en perte de vitesse, mise aussi sur l’ouverture d’une structure culturelle renommée pour redorer son blason et doper son économie. Une intuition visionnaire puisque l’antenne de la Tate ouvre en 1993, soit quatre ans avant l’inauguration du Musée Guggenheim de Bilbao. Les résultats sont largement au-delà des espérances des concepteurs puisque le site attire 250 000 visiteurs par an, soit trois fois plus que les 70 000 espérés.
Le petit musée de 600 m2 est rapidement submergé et doit entreprendre des travaux d’agrandissement. Ce chantier, qui a permis de doubler la surface d’exposition et de doter l’établissement d’équipements à la hauteur de sa réputation et de son ambition internationale, vient tout juste de s’achever. Un nouveau parcours magnifie plus que jamais les vedettes de l’école de St Ives, tout en soulignant leurs étroites relations conceptuelles et esthétiques avant les avant-gardes internationales du XXe siècle.
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La Tate St Ives
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°707 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : La Tate St Ives