Les musées des beaux-arts en général, et le Musée national d’art moderne en particulier, entrent dans une nouvelle ère. Quels sont les sept défis que le nouveau directeur du Centre Pompidou, Bernard Blistène, nommé en novembre dernier, va devoir relever ?
1 - L'ESPACE
Avec environ 76 000 pièces, le Musée national d’art moderne possède la seconde plus grande collection d’art moderne et contemporain au monde. Seule ombre au tableau, le MNAM ne peut, faute d’espace, exposer qu’une partie limitée de ce fonds en perpétuelle augmentation. Tandis que ses partenaires et rivaux internationaux, la Tate Modern de Londres et le MoMA de New York, mènent actuellement des projets d’agrandissement, afin notamment de donner une plus grande visibilité à la création actuelle, le MNAM apparaît, quant à lui, un peu à l’étroit dans les murs du Centre Pompidou. Une solution, abandonnée en 2009, avait été envisagée : implanter une partie de ses activités d’exposition de la scène française contemporaine au sein du Palais de Tokyo. Depuis l’abandon du projet, aucune alternative n’a été retenue. Or, pour conserver son statut de musée de référence, le MNAM ne pourra pas, dans les années à venir, faire l’économie d’une extension. D’autant que l’institution est régulièrement critiquée pour ne pas consacrer suffisamment de place à la création la plus contemporaine, présentée dans les maigres salles de l’Espace 315 et au cours de monographies d’artistes en milieu de carrière.
2 - LA DECENTRALISATION
Depuis l’ouverture du Centre Pompidou-Metz en 2010, le musée a participé à plusieurs initiatives de décentralisation culturelle. À partir de 2011, le MNAM présentait ainsi une poignée de chefs-d’œuvre au sein du Centre Pompidou mobile, un musée nomade qui a voyagé à travers la France. Ce dispositif gratuit et doté d’une médiation spécifique devait permettre d’attirer des publics éloignés de la culture. Faute de budget, cette initiative a été arrêtée en mai 2013, et le musée doit aujourd’hui repenser ses stratégies de décentralisation, qui font partie intégrante de sa mission de service public. Cette ambition pourrait demain se traduire par une dynamique accrue de prêts et de dépôts, comme le préconise le rapport sur la circulation des œuvres d’art rédigé par Alain Seban, président du Centre Pompidou. Par ailleurs, le musée doit également composer avec l’évolution du Centre Pompidou-Metz ; le centre d’art se dote effectivement, à partir de février 2014, d’une collection semi-permanente. Le premier accrochage, « Phares », présentera ainsi une vingtaine d’œuvres de grand format prêtées par le MNAM, pour une durée de deux ans.
3 - LA DEMOCRATISATION
Si la fréquentation des collections et des expositions du MNAM ne cesse d’augmenter ( 49 % entre 2006 et 2012), force est de constater que l’accroissement de son visitorat ne s’accompagne pas d’une réelle diversification et démocratisation de celui-ci. Son public est ainsi majoritairement issu de classes socioprofessionnelles supérieures, 75 % des visiteurs adultes possédant un niveau d’études bac 3 ou plus ; tandis que les employés, personnels de service et ouvriers, ne représentent que 14 % de son public, chiffre à comparer avec les 30 %, issus de cette même catégorie ayant visité le Centre Pompidou Mobile en région. En outre, il s’agit d’un public familier des musées ; seuls 2 % des visiteurs du Centre Pompidou n’ont jamais visité de musée auparavant, contre 18 % pour le CPM en région. La démocratisation s’impose donc comme un des chantiers prioritaires pour le musée et son nouveau directeur.
4 - LA RECHERCHE
Alors que la recherche occupe une place prépondérante dans les musées anglo-saxons, en France les universitaires ont longtemps été tenus à l’écart des musées, et avec eux l’actualité la plus récente de la discipline. Cette tendance commence à s’infléchir et le MNAM y contribue, en participant notamment à des laboratoires d’excellence. Au sein du musée, cette politique se matérialise essentiellement par le programme de recherche sur la mondialisation, qui vise à renouveler son discours sur l’art du XXe siècle. Demain, pour conforter sa place d’institution phare, le MNAM doit poursuivre dans cette voie : placer la recherche parmi ses priorités et s’imposer comme un lieu d’enseignement, à l’instar des grands musées anglo-saxons. Une condition sine qua non pour ne pas se laisser distancier par ses concurrents traditionnels, mais aussi par l’émergence de nouveaux musées, notamment en Asie et dans les pays du Golfe, qui entendent réécrire l’histoire de l’art canonique, en accordant une plus large place à leurs compatriotes. Un défi d’autant plus difficile pour Bernard Blistène que la recherche est le terrain de prédilection de Catherine Grenier, sa concurrente malheureuse à la direction du MNAM.
5 - LE NUMERIQUE
Si l’institution est bien représentée sur les réseaux sociaux et son site Internet très innovant, le musée doit cependant faire des efforts pour améliorer la présence du numérique dans ses murs. À ce jour, le MNAM ne propose en effet pas de supports de visite interactifs au sein de ses collections. Une transition aujourd’hui incontournable pour s’adapter à l’évolution des modes de consommation culturelle des jeunes, et qui représente aussi un vecteur de démocratisation pour attirer de nouveaux publics. Une équation que ses concurrents ont bien comprise, la Tate Modern prévoit ainsi dans son extension de nombreux dispositifs de médiation numérique.
6 - LES FINANCES
Plus que jamais, l’argent est le nerf de la guerre pour les musées, qui doivent composer avec une diminution drastique des subventions publiques et un essoufflement du mécénat conjugués à une envolée des prix du marché. Dans ce climat de rigueur, après une année très austère, le budget du ministère de la Culture baisse encore de 2 % en 2014. Les grands musées doivent donc faire preuve d’inventivité pour tenir leur rang, notamment en développant leurs ressources propres. Le Centre Pompidou, ayant déjà considérablement augmenté ses ressources propres, notamment grâce à l’attractivité de sa programmation – 50 % entre 2007 et 2012 – ne dispose plus que d’une faible marge de manœuvre dans ce secteur. Or, pour rester dans le palmarès des grands musées d’art moderne, il doit continuer d’accroître sa collection ; dans cette optique, il prospecte ainsi vers les scènes encore relativement accessibles, comme le Moyen-Orient et l’Europe de l’Est. En outre, à l’instar de ses homologues, il essaie également de séduire collectionneurs et mécènes latino-américains, asiatiques ou africains soucieux d’offrir une visibilité internationale aux artistes de leur pays. Pour l’heure, le Centre Pompidou ouvrira à Malaga (Espagne) en 2015, son premier centre provisoire à l’étranger. Bénéfice de l’opération : 1 million d’euros par an.
7 - LES EXPOSITIONS
Vitrine du musée, les expositions blockbusters participent largement à la hausse de sa fréquentation. Ainsi, en 2012, grâce notamment à la rétrospective Dalí qui a attiré 790 000 personnes, le Centre Pompidou a enregistré un nombre record de visiteurs : 3,8 millions. Mais, alors que les coûts de production et d’assurance explosent, les grandes expositions et la course à l’audimat sont des modèles de plus en plus difficiles à soutenir. Pour réduire les dépenses, le musée, comme ses partenaires, opte pour la mutualisation ; rares sont donc les grandes manifestations à ne pas faire l’objet d’une coproduction. Cette politique présente cependant un écueil : elle tend à uniformiser l’offre culturelle et à privilégier les valeurs sûres, souvent au détriment de l’intérêt scientifique. Or, tandis que la concurrence fait rage entre musées, le MNAM aurait une carte à jouer en se distinguant par une programmation plus pointue et singulière ; en réinvestissant notamment massivement la scène actuelle, domaine dans lequel il est détrôné à Paris par le Palais de Tokyo. De plus, le Centre Pompidou, longtemps considéré comme un lieu novateur et expérimental, est aujourd’hui fortement critiqué pour s’être institutionnalisé ; en repensant en profondeur la programmation du MNAM, son nouveau directeur pourrait changer la donne.
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Les sept travaux de Bernard Blistène
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°664 du 1 janvier 2014, avec le titre suivant : Les sept travaux de Bernard Blistène