Depuis quelques semaines, le public du château de Versailles peut admirer le Cabinet doré de la reine fraîchement restauré. Quelques mètres carrés d'une pièce d'intimité qui ont demandé aux spécialistes, architectes, décorateurs, conservateurs… plus de dix années de labeur.
Quand Louis XVI est contraint de s’installer au palais des Tuileries le 6 octobre 1789, il prie son ministre de la Guerre de « préserver [s]on pauvre Versailles ». Mais le château sera finalement fermé et bientôt vidé de ses meubles, vendus à l’encan lors des ventes révolutionnaires de 1793 ou transférés au Muséum central des arts au palais du Louvre. Plus de deux cents ans ont passé, et le Musée de Versailles tente aujourd’hui de rendre au château, par la restauration de ses décors et son remeublement, l’aspect qui était le sien lorsque Louis XVI et Marie-Antoinette l’ont quitté. Une démarche qui conduit conservateurs, architectes et décorateurs à faire parler les archives.
Parquets et lambris originaux
Ainsi la restitution du Cabinet doré de la reine vient-elle de s’achever. La plus grande pièce des appartements privés de la souveraine où elle jouait de la harpe pour ses intimes et posait pour Élisabeth Vigée Le Brun, sa peintre favorite, est désormais celle « où se trouve la plus grande concentration d’objets ayant appartenu à Marie-Antoinette dans le monde », assure Béatrix Saule, la directrice du Musée national de Versailles. Par chance, c’est aussi l’une des pièces qui a subi le moins de dégradations et de changements après la Révolution française, les travaux entrepris par Louis XVIII en 1814 et la transformation du château en Musée de l’histoire de France par Louis-Philippe dès 1833.
Le Cabinet doré, ancien appartement du mari de la duchesse de Bourgogne puis de Marie Leszczynska et, enfin, de Marie-Antoinette, a d’abord été entièrement restauré en 2003 sous la direction de l’architecte en chef des Monuments historiques, Frédéric Didier. Les travaux de restauration proprement dits ont duré un an. Ils ont nécessité le démontage complet des boiseries, opération qui fut l’occasion d’une découverte importante : dans un réduit situé sur le côté de l’alcôve, condamné lors de la modification de celle-ci en 1779, a été retrouvé le traitement initial du parquet et qui avait disparu ailleurs. Celui-ci était recouvert d’une couche picturale jaune. Un traitement classique qui devait, selon Frédéric Didier, gommer l’apect rustique du bois. Ce que semble confirmer l’ouvrage de Watin, édité en 1772 : L’Art du peintre, doreur, vernisseur. Cette trouvaille a donc permis aux restaurateurs de refaire à l’identique, et selon le procédé original, l’ensemble du parquet du cabinet, que les visiteurs peuvent désormais contempler derrière la porte vitrée qui le protège.
Sculptés par les frères Rousseau d’après les dessins de l’architecte de la reine, Richard Mique, les lambris or et blanc ont, quant à eux, perdu de leur éclat initial même si, fort heureusement, 80 % du décor demeurent d’origine. La restauration de cette partie du Cabinet doré a donc consisté à nettoyer les dorures, à les dégager de quelques interventions excessives réalisés durant les siècles précédents, puis à compléter les manques selon les techniques d’époque décrites – toujours – par Watin et réalisées par l’atelier Mariotti (qui a notamment travaillé sur les dorures de la galerie des Glaces). L’opération se veut légère. Surtout, elle « calme les accidents », précise l’architecte en charge de la restauration.
Seuls les médaillons au sommet des panneaux de bois avaient été entièrement modifiés en 1814, bûchés par les révolutionnaires qui y avaient reconnu les bustes du roi et de la reine. Ils avaient été remplacés par d’autres médaillons aux insignes royaux de la fleur de lys et du double L de Louis XVIII. Si l’un de ces médaillons a été conservé dans un coin, au titre de témoin de l’histoire, les autres ont aujourd'hui retrouvé leurs chiffres d’Ancien Régime dont la trace s’est révélée au-dessous : les M et A de Marie-Antoinette et le L de Louis XVI entrelacés.
Le casse-tête du remeublement
Si le décor du Cabinet doré, majoritairement préservé, a facilité sa restauration, il n’en est pas de même pour son ameublement, dispersé, sinon disparu, depuis la fin de l’Ancien Régime. La restitution du cabinet a donc dû prendre en compte les meubles restés dans les collections françaises et ceux qu’il était possible de retrouver et d’acquérir, constate Béatrix Saule.
En 2010, un comité de remeublement composé de conservateurs de Versailles, du Louvre et d’inspecteurs du Mobilier national a ainsi été créé pour faciliter les échanges entre ces institutions. Première impasse : la commode et la table réalisées par l’ébéniste Riesener spécialement pour le cabinet font désormais partie des collections du Metropolitan Museum de New York. Elles ne reviendront donc probablement jamais en France.
La recherche fut plus heureuse en revanche concernant l’ensemble des sièges. En 1997, un tabouret de pied conservé à Fontainebleau a été identifié comme appartenant au mobilier versaillais grâce à son étiquette qui mentionne : « Grand Cabinet intérieur de la Reine à Versailles ». À partir de ce premier élément, l’ensemble des sièges identiques, tous conservés à Fontainebleau, a pu rejoindre le Cabinet doré.
Le reste de l’ameublement qui est venu enrichir la pièce se compose donc d’« équivalences ». Pour remplacer la commode et la table exposées à New York, deux types semblables de meubles réalisés également par Riesener pour Marie-Antoinette à la même période, en 1782 et 1783, mais l’un destiné à sa chambre à Marly et l’autre au salon du Hameau, ont été choisis par les conservateurs. D’autres mobiliers sont plus discutables, comme les bras de lumière qui proviennent de la résidence du comte d’Artois au Temple, choisis pour leur cohérence avec les motifs de sphinges des lambris.
Un compromis avec l’histoire
Pour Béatrix Saule, il s’agit avant tout de restituer l’atmosphère de la pièce et de lui rendre une harmonie générale, en restant certes au plus près des archives, mais selon une « démarche moins archéologique qu’auparavant ». Ceci afin d’offrir aux visiteurs un musée vivant. Attitude qui ne va pas sans risques. L’une des premières « restitutions », celle de l’antichambre du Grand Couvert en 2010, avait, on s'en souvient, été vivement critiquée, l’argenterie présentée provenant du service de George III d’Angleterre (prêté par le Louvre) et les fauteuils ayant été recréés par le décorateur Jacques Garcia. Ce dernier fait en effet partie du comité de remeublement, auquel il apporte son expérience pour donner « le ton juste » d’une pièce. Si, selon lui, la restitution est toujours sujet à polémique car « l’on n’est jamais dans l’exactitude absolue », elle repose toutefois sur des archives historiques, principalement les mémoires de fournisseurs dans le cas du Cabinet doré.
Mais il est vrai qu’au-delà des descriptions de sièges « velours vert anglais » et « galonnés à la Bourgogne », les détails de mise en œuvre manquent souvent. Il faut donc les réinterpréter, à l’image de la forme de la draperie située au-dessus de l’alcôve ou de la garniture des sièges.
Pour certains, les limites de la restitution devraient être celles de la stricte rigueur historique, quitte à laisser une pièce vide lorsque l’ameublement d’origine ne peut être rétabli. Versailles, de son côté, a fait le choix de l’équivalence, tout en apportant un grand soin à solutionner le problème de la commode et de la table de Riesener : même artisan et même niveau de luxe pour deux commandes passées par la reine. Quant à la reconstitution, c’est-à-dire à la fabrication contemporaine d’un objet pour en remplacer un autre disparu, elle ne semble plus être à l’ordre du jour des prochaines restitutions.
Mais à peine le Cabinet doré a-t-il été rendu à l’histoire que le château se tourne déjà vers la prochaine restitution : le cabinet de la Méridienne, pour lequel une chaise de Georges Jacob vient d’être récemment acquise chez Sotheby’s. Si la mention de sa destination a disparu avec son étiquette, son décor est néanmoins « en parfaite adéquation » avec deux autres fauteuils qui proviennent du cabinet et qui ont été acquis en 1980. Un autre exemple de cette « harmonie générale » souhaitée dans le travail de restitution par le Musée de Versailles, à défaut ou en attendant de retrouver le mobilier d’origine.
À Venise, dans l’aile napoléonienne du Palais royal, place Saint-Marc, les appartements de l’impératrice ont rouvert cet été grâce au Comité français de sauvegarde de la ville. Depuis, la salle des audiences de l’impératrice, dans son cabinet d’études, sa chambre à coucher et son cabinet de toilette ne désemplissent pas de Vénitiens et de touristes. L’enfilade de pièces a retrouvé la magnificence de ses fresques, l’éclat de ses stucs dorés et de ses marmorini, la flamboyance de ses tapisseries murales, après les restaurations menées à l’initiative du Comité que pilote l’historien Jérôme Zieseniss. « Un monument majeur est ainsi restitué à la ville », résume celui qui a œuvré depuis une douzaine d’années pour obtenir ce résultat.
Un chantier de restauration de 2,5 millions de dollars
Ces appartements royaux, propriété de l’État italien, étaient en effet occupés par l’administration qu’il a fallu convaincre de déménager. Au nom des liens unissant la France et l’Italie, le Comité a d’abord aidé à la rénovation du musée Correr, situé également dans le Palais royal, avant de s’attaquer à ces pièces néoclassiques désormais intégrées à la visite. Un chantier qui a coûté 2,5 millions de dollars. En arpentant les appartements de Sissi, on peut voir des plaques discrètes remerciant les donateurs : on doit la rénovation du salon des dames d’honneur à LVMH, le bureau de l’impératrice à Henry et Béatrice Hermand, le boudoir de Sissi à Chantal Mérieux et à sa petite-fille, la salle à manger au World Monument Fund, l’escalier d’honneur et la Salle ovale à la Fondation Florence Gould... S’y ajoute du mécénat de compétence : les tentures ont été refaites à l’identique par la célèbre maison Rubelli. Il reste à trouver 1,5 million de dollars pour terminer la restauration des dernières salles (sur dix-sept pièces, quatorze ont été rénovées) de ce Palais royal voulu par Napoléon. Quand ce sera terminé – si tout va bien d'ici à deux ans –, le musée Correr aura doublé de superficie.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Restitutions à Versailles - Plane l’âme de Marie-Antoinette
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°650 du 1 octobre 2012, avec le titre suivant : Restitutions à Versailles - Plane l’âme de Marie-Antoinette