Documentaire - Depuis plusieurs années, Laura Poitras est à la fois chroniqueuse et porte-parole des lanceurs d’alerte de ce siècle.
En 2014, dans Citizenfour, elle suivait la fuite d’Edward Snowden de Hong Kong à Moscou. Deux ans plus tard, dans Risk, elle dressait un portrait plus ambigu du fondateur de WikiLeaks Julian Assange. Toute la beauté et le sang versé s’impose comme la suite et la conclusion de ces deux films. Cette fois, Poitras s’intéresse à Nan Goldin. En 2014, la photographe, qui souffre d’une tendinite au poignet, se voit prescrire de l’OxyContin, un puissant antidouleur. Dès les premières doses, elle devient accro. L’artiste finira par réduire les gélules en poudre pour les sniffer à la paille. Après avoir décroché, elle rassemble autour d’elle un commando d’autres victimes et part en campagne contre la firme pharmaceutique qui fait commerce des opiacés. Or OxyContin est une marque de Purdue Pharma, propriété de la puissante famille Sackler grand mécène du monde de l’art. Nan Goldin a commencé à filmer seule, avant de faire appel à Laura Poitras. L’artiste reste coproductrice du documentaire dont elle est l’héroïne. Si l’on reconnaît le style sec et classe de la cinéaste, Toute la beauté et le sang versé est le fruit d’une complicité entre deux femmes d’âges différents. Goldin, en voix off, déroule ses amours, les drogues, les coups, la prostitution, les amis rencontrés, les amis perdus, New York, Berlin..., une vie scandée de « yeah » laconiques ou tranchants, lancés d’une voix chargée de nicotine. Le film déploie surtout la fresque de l’underground américain, des seventies aux années 2020. L’art des squats et des marginaux est désormais lié aux grandes entreprises, aux fortunes de ceux contre lesquels ils se dressaient. Quand Goldin constate que ses œuvres sont exposées dans des musées financés par la famille Sackler, Toute la beauté et le sang versé devient un film engagé sur les rapports empoisonnés entre l’art et l’argent, mais aussi le portrait d’une photographe qui retrouve la colère à la base de ses créations. Énigmatique et splendide, le titre n’est pas de Nan Goldin. Ce sont les mots de sa sœur devant un test de Rorschach. Si « le sang versé » irrigue tout le film, il ne faudrait pas perdre de vue les premiers mots. Goldin a souffert et souffre encore. Pourtant, malgré tout le « sang versé », ce monde déborde de « beauté ». Il suffit de le regarder en face. À la dernière image, le visage de Nan Goldin disparaît à nouveau derrière son objectif et son boîtier. Clic-clac. Yeah !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°762 du 1 mars 2023, avec le titre suivant : Yeah !