Deux publications, les procès verbaux de l’Académie des Beaux-Arts au début du XIXe siècle et une anthologie de textes sur l’École des beaux-arts, relancent le débat sur l’histoire de l’académisme.
Ce sont les publications les plus utiles, celles que l’on feuillette avec le plus de gourmandise : des textes originaux rendus accessibles pour la première fois. Les procès verbaux de l’Académie des beaux-arts (les travaux en suspens restaient interrompus depuis Marcel Bonnaire, qui avait donné entre 1937 et 1943, sous l’égide de la Société de l’histoire de l’art français, trois volumes pour la période 1795-1810) dépassent le champ de la pure érudition. Avec ce volume, qui repose sur le travail de thèse d’Agnès Goudail – grâce lui soit rendue, elle a retranscrit des milliers de pages manuscrites inédites –, l’essentiel des débats artistiques du Premier Empire sort de l’ombre. Ce livre donne à entendre des académiciens qui s’appellent, pour la peinture, Denon – dont on cherche toujours les tableaux – ou David, puis Gérard, des sculpteurs qui se nomment Lemot ou Cartellier, en architecture Chalgrin ou Dufourny, Fontaine et Percier, mais aussi toute la brillante cohorte des musiciens de l’Empire, Méhul, Gossec ou Grétry. Les associés étrangers ne sont autres que Canova, Paisiello ou Benjamin West.
La vie politique passe, en filigrane, comme assourdie : certes, on délibère, en juillet 1814, de l’érection de la statue d’Henri IV sur le Pont Neuf, mais les débats de la séance extraordinaire du 26 juin 1815, huit jours après Waterloo, portent sur le sujet du Prix de sculpture. On sélectionne Ulysse reconnu par son chien, sans nécessairement y voir une transposition en langue homérique du retour des émigrés et de la Seconde Restauration. L’Académie, cette année-là, reconnut pourtant Louis XVIII, revenu dans son Ithaque. L’exclusion du régicide David en fut la conséquence la plus tragique. Elle s’accompagne du départ de quelques individualités rebelles, dont le secrétaire général Le Breton, qui s’embarqua, avec d’autres artistes français, pour le Brésil. On brûle de lire la suite : que l’École des Chartes donne vite le volume suivant.
Miniateur, croque-notes ou campane canonnière
L’intérêt de ces pages d’apparence austère est sans cesse renouvelé : on y traite aussi bien de la restauration de la cathédrale de Bayeux que de la redécouverte en Allemagne d’un tableau inconnu de Michel-Ange ou de la nécessité de réprimer les contrefaçons en matière de sculpture. Ce petit livre à couverture rouge est une mine. Pas moins de six index en facilitent la consultation : l’un d’eux, le plus original, donne la liste des mots que l’Académie fait entrer, durant ces années où l’art français se tourne vers le Romantisme, dans son Dictionnaire de la langue des Beaux-Arts. La nomenclature fait rêver : on ajoute baroque (terme de musique présenté par Méhul), bienséance (terme d’architecture soutenu par Quatremère de Quincy), harmonie et hardiesse (voulus par le davidien Vincent) ; l’Académie se fait peur avec cacophonie, bûcher et barbarisme, ajoute, comme pour le plaisir, d’autres vocables dont la signification précise peut échapper aujourd’hui : astragale lesbien, miniateur, croque-notes ou campane canonnière.
Des mots que l’on imagine volontiers transformés en jurons de “rapins”, dans ce “jargon d’atelier” que restitue, au fil des textes choisis, le volume, très vivant et bien illustré que publie l’École des beaux-arts. Deux siècles de vie de la vieille maison vénérée et haïe se réveillent à travers des articles de journaux, des pages des Goncourt, de Mérimée ou d’Alexandre Dumas. Plus qu’une anthologie, il s’agit d’une histoire de l’institution racontée par ceux qui l’ont vue. Les préfaces des chapitres sont éclairantes, notamment celle que Bruno Foucart consacre à l’École entre les deux guerres. Lui qui a tant fait pour réhabiliter l’enseignement donné dans les bâtiments de Duban au XIXe siècle s’intéresse maintenant à ce qu’il nomme un “retour d’âge d’or”. En 1968, les élèves suivront tous, sans le savoir, le conseil de M. Ingres : “N’allez pas à l’École, c’est un endroit de perdition, on ne devrait y aller qu’en se bouchant les oreilles et sans regarder à gauche ni à droite.”
- Procès-verbaux de l’Académie des Beaux-Arts, 1811-1815, sous la direction de Jean-Michel Leniaud, édition établie par Agnès Goudail et Catherine Giraudon, éd. École des Chartes, 2001, 565 p., 328 F. ISBN 2-900791-46-4.
- Les Beaux-Arts, de l’Académie aux Quat’z’arts, anthologie établie par Annie Jacques avec la collaboration d’Emmanuel Schwartz, éd. Énsb-a, 2001, 595 p., 220 F. ISBN 2-84056-096-8.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°134 du 12 octobre 2001, avec le titre suivant : Vous avez dit académique ?