Pour inaugurer la nouvelle collection des éditions Bréal, “L’œil instruit”?, Ferrante Ferranti nous invite à explorer le monde de la photographie à travers une sélection de clichés plus ou moins célèbres. Conçu sur le mode du musée imaginaire, l’ouvrage aiguise le regard, incite à détailler chaque élément d’une image pour en découvrir le sens caché.
“La photographie est un support de diffusion de l’information au même titre, par exemple, qu’une feuille imprimée, un dessin, une gravure, mais elle est avant tout un mode d’expression qui reste lié à la maîtrise de son instrument”, explique Ferrante Ferranti, qui signe le premier titre de la nouvelle collection des éditions Bréal, “L’œil instruit”. Architecte de formation, auteur de multiples ouvrages avec Dominique Fernandez, et, plus récemment, avec Andreï Makine (Saint-Pétersbourg, éd. Le Chêne) ou Giovanni Careri (Baroques, éd. Citadelles & Mazenod), Ferrante Ferranti invite ici le lecteur à pénétrer les univers singuliers de Brassaï, Lucien Hervé, Raymond Depardon, Francis Frith, Mario Giacomelli, Jacques Henri Lartigue, James Nachtwey, Alfred Stieglitz et bien d’autres. En introduction, l’auteur commente ses propres travaux, évoque ses voyages au Brésil, en Sicile, en Grèce, les sensations que lui ont procuré des lieux comme le temple d’Abou-Simbel, en Égypte, ou encore la villa Borghese à Rome, où il a découvert l’art du Bernin.
Chaque chapitre a été conçu autour d’un thème – “Contexte”, “Engagement”, “Portrait”, “Ombre et Lumière”, “Manipulation”, “Résonance” – et s’ouvre sur une double page avec, à gauche, trois interrogations invitant le lecteur à la réflexion, et, à droite, une photographie emblématique. Illustré notamment par la Fondation Edhi pour les malades mentaux (Pakistan, 1997), immortalisée par Chris Steele-Perkins, le thème “Composition” soulève ainsi trois questions : quelle force prime dans cette photographie ? Sur quels éléments repose l’équilibre de la composition ? Dans quelle mesure le cadrage révèle-t-il ce que l’on ne voit pas ? Cette image dépourvue de ciel a été prise depuis un intérieur sombre qui quadrille l’image et laisse apparaître, dans de petites fenêtres de lumière, des détails d’individus. Il propose une vision segmentée du lieu, une sorte de puzzle que Ferranti analyse comme une “mise en abyme cadrée, à la fois rigoureuse et vertigineuse, dans laquelle les fragments manquants évoquent les cases perdues de la raison”. Avec des clichés de Salgado, Capa ou Stanley Greene, se pose la question du renoncement à l’art, tandis que les épreuves de Thomas Eakins ou de Yasuzô Nojima explorent les liens étroits qu’entretient le médium avec la peinture. Ferrante Ferranti n’impose pas sa vision du sujet, mais cherche, au contraire, à en multiplier les approches. Pour un même thème, il donne la parole à plusieurs photographes, artistes et écrivains qui, chacun, enrichissent le propos. Sur la notion d’”Instant”, il fera aussi bien référence à Michel-Ange, pour qui l’“Arte e una cosa mentale” (l’art est une chose mentale), qu’à Cartier-Bresson, théoricien et praticien de l’“instant décisif”, ou Edward Weston, dont “l’œil enregistre un flot ininterrompu d’images, tandis que l’appareil photo saisit un moment donné, un seul, et le fixe pour l’éternité”. Subtilement, l’ouvrage incite le lecteur à libérer son regard pour mieux voir l’indicible.
Lire la photographie avec Ferrante Ferranti, éditions Bréal, collection “L’œil instruit”?, 2003, 224 p., 19 euros. ISBN 2-7495-0002-8.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°173 du 13 juin 2003, avec le titre suivant : Voir et s’émouvoir en photographie