Plus de quarante œuvres anciennes ou inattendues ont changé de statut au siècle dernier. Laurent Le Bon, Yves Le Fur et Jean de Loisy en proposent une histoire.
En 1888, l’abbé Hermet découvre une dalle sculptée anthropomorphe datant de 3000 ans avant J.-C. Enthousiasmé par ce qu’il appellera la « statue-menhir Dame de Saint-Sernin », aujourd’hui conservée au Musée Fenaille à Rodez, il mène une fructueuse campagne de fouilles. « Il ne faudrait pas néanmoins croire se trouver en face d’une œuvre d’art : non, cette pierre grossièrement sculptée n’a guère que le mérite de l’antiquité », dira-t-il plus tard. L’histoire de l’art en a jugé autrement et l’a depuis longtemps intégrée dans son corpus. Des pièces de ce type, c’est-à-dire ayant été réévaluées par le regard porté sur elles au XXe siècle, sont légion. Un ouvrage publié sous la direction de Laurent Le Bon, (directeur du Centre-Pompidou Metz), d’Yves Le Fur (directeur du département du patrimoine et des collections au Musée du quai Branly) et de Jean de Loisy (président du Palais de Tokyo) en a recensé 45 selon un protocole fluctuant. On devine qu’ils auraient bien aimé cataloguer des œuvres ayant directement influencé la création en mettant en avant leurs héritiers. Mais ce n’est pas si facile que cela. Peu d’artistes, à l’instar d’un Picasso qui reconnaît la dette du cubisme à l’égard des arts premiers, admettent leur dû vis-à-vis de leurs lointains maîtres. Aussi les contributeurs ont-ils élargi le filtre et sélectionné des œuvres qui « tracent depuis [leur (re)découverte] un) sillage exceptionnel dans l’histoire de la pensée et de l’émotion moderne », ce qui autorise l’intégration d’à peu près tout.
Après avoir épuisé les (re)découvertes préhistoriques (grottes de Lascaux et Chauvet), antiques (idoles cycladiques, Cratère de Vix) et celles des civilisations extra-européennes (masque Baga, tête d’Ife, temple d’Angkor Vat, cuiller zouloue, masque Kwele), ils s’aventurent dans le vaste champ des réévaluations des « regardeurs » : la Pietà de Villeneuve-lès-Avignon, le Bain turc d’Ingres, les Têtes de caractère de F. X. Messerschmitt, ou Georges de La Tour.
Plus inattendus, mais aussi plus proches de l’intention première : « un caillou ramassé sur la plage » célébré par l’historien de l’art Carl Einstein, ou les pierres de l’écrivain Roger Caillois. Mais soyons juste, l’ouvrage n’est ni une somme ni un essai. Il se présente comme un catalogue avec de courtes notices factuelles agréables à lire (rédigées par les historiens de l’art Cécile Bargues, Mouna Mekouar et Alexandre Quoi), formidablement illustrées par des photographies et des documents d’époque. Il se feuillette plus qu’il ne s’étudie, laissant le lecteur s’échapper et peut-être même s’interroger. Nul doute que celui-ci se demandera, alors qu’il aborde les dernières pages et progresse vers la fin du XXe siècle, et que les (re)découvertes se raréfient – en témoigne le curieux enrôlement de L’Origine du monde de Courbet en 1995 lors de son entrée au Musée d’Orsay : notre monde contemporain hyper informé laissera-t-il quelques (re)découvertes aux générations suivantes ?
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Une autre histoire de l’art, Chefs-d’œuvre (re)découverts au XXe siècle, Laurent Le Bon, Yves Le Fur, Jean de Loisy
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Abonnez-vous dès 1 €Laurent Le Bon, Yves Le Fur, Jean de Loisy, avec la collaboration de Cécile Bargues, Mouna Mekouar, Alexandre Quoi, Éditions de La Martinière, oct. 2013, 240 p., 65 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°405 du 17 janvier 2014, avec le titre suivant : <em>Une autre histoire de l’art, Chefs-d’œuvre (re)découverts au XXe siècle</em>, Laurent Le Bon, Yves Le Fur, Jean de Loisy