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Littérature

Un subtil art de l’à-propos

Par James Benoit · L'ŒIL

Le 26 octobre 2021 - 386 mots

Aux heures où ont rouvert les portes des musées, le chemin vers les œuvres redevient possible. Il est alors lieu de s’interroger sur la nature de l’énergie qui presse nos pas sur le chemin des expositions.

Qu’allons-nous faire dans un musée ? Contempler des œuvres exposées à nos sens dans le recueillement intérieur, ou bien plutôt projeter sur des formes et des couleurs cette trace de nous qui aurait quelque chose à en dire ? Depuis le plus simple des j’aime/j’aime-pas les moins argumentés, c’est déjà une épreuve de vérité. Ce qui se joue ici tient moins d’une affaire de goût que de l’expression d’une personnalité. Les critiques d’art, et d’autant moins d’entre elles les plus littéraires, n’échappent pas à la règle. Elles romancent. Elles conjuguent les rapprochements et les malentendus, font un récit d’une émotion vécue. En faisant littérature, elles nous en montrent la voie, l’apogée. De l’autre côté, derrière une peinture, il n’y a que de la toile, puis, peut-être, un mur. Même sonores, et parfois loquaces, les œuvres restent muettes. Elles nous laissent seuls face à nos rêves. Du point de vue de Philippe Forest, c’est que le sens propre d’une œuvre n’est pas tant de témoigner de l’état de l’âme de celui qui en est le créateur, de véhiculer son émotion, d’en transmettre un message ou une sensation, que d’être racontée, à la première personne, par le biais d’un état de l’âme de celui qui la perçoit, s’y ouvre et la reçoit. À ce jeu, nous serions alors tous critiques d’art, au moins en potentiel, et ce serait même le propre de l’art que de nous y amener. Car un art sans critique serait un art sans histoire. Il échapperait à la grande, celle qui brasse les courants et les époques, les siècles et les étiquettes. Il esquiverait surtout la petite, celle qui fait de nous qui nous sommes par la magie des récits que nous avons à nous en raconter. C’est de cette rencontre intérieure, de cette expérience de peinture, de formes, qu’en émerge tout l’intérêt, l’attrait, et peut-être le succès. Comme il en va de toute relation humaine, nous basculons à la rencontre de l’art parce qu’il nous met en relation avec la vie telle que nous la vivons, et parce que, plus que tout, il nous parle de nous-mêmes.

Philippe Forest, Éloge de l’aplomb et autres textes sur l’art et la peinture,
éditions Gallimard, Collection « Art et artistes » , 216 p., 22,50 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°748 du 1 novembre 2021, avec le titre suivant : Un subtil art de l’à-propos

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