La traduction de l’un des derniers ouvrages de l’historien d’art viennois, datant de 1904, révèle la singularité de sa démarche.
Avec cette première traduction en français de l’un de ses derniers livres, paru en allemand en 1902, Le Portrait de groupe dans la peinture hollandaise, l’historien de l’art viennois Aloïs Riegl (1858-1905) apparaît sous un nouveau jour. Contrairement à ses contemporains, Heinrich Wölfflin (1864-1945) ou Aby Warburg (1866-1929), Riegl reste principalement connu en France pour son ouvrage consacré au patrimoine, rédigé alors qu’il était président de la Commission des monuments de l’empire austro-hongrois (Le Culte moderne des monuments, 1903). L’auteur y inventait alors l’idée de « valeur d’ancienneté », consubstantielle à la notion de patrimoine. Ses écrits sur l’histoire de l’art demeurent un pan moins connu de son œuvre, d’une part en raison d’une traduction souvent tardive, d’autre part parce qu’ils privilégient une approche longtemps qualifiée de strictement formaliste. Son rôle dans la construction de la discipline est pourtant majeur.
Conservateur du musée autrichien d’art et d’industrie de 1886 à 1897, Riegl développe rapidement une approche spécifique de l’histoire de l’art, perceptible dès la parution de Questions de style. Fondements d’une histoire de l’ornementation (1893). L’auteur veut y bâtir une théorie du style s’émancipant de l’histoire culturelle – qui révélera ses limites avec les progrès de l’histoire de l’art. Il écarte ainsi de son étude l’analyse de la biographie de l’artiste ou de l’histoire de la commande pour se concentrer sur le langage propre aux œuvres et à leur logique interne, s’attachant à leur forme, aux relations établies entre les figures, à des considérations liées à l’optique ou à la composition du tableau. Ce parti pris fera l’objet de critiques. « Or il paraît évident que ce formalisme, s’il en est un, n’est en aucun cas une manière de nier l’importance du référent (ce qu’étudie l’iconographie) et encore moins de prôner la seule expressivité des formes », nuance toutefois Étienne Jollet, professeur d’histoire de l’art moderne à l’Université de Provence et préfacier de cette traduction. « Il s’agit seulement de dire les choses comme elles sont – et cela signifie, dans le cas des arts plastiques, prendre en considération les caractères propres à ceux-ci. » Car derrière chaque artefact, Riegl cherche à déceler le Kunstwollen ou « vouloir artistique » à l’origine de telle ou telle forme.
La représentation de l’attention
Alors qu’il travaille sur le baroque depuis 1894, son intérêt se porte sur un sujet peu traité par l’histoire de l’art, le portrait de groupe hollandais. À ses yeux, celui-ci serait révélateur de la nature même du « vouloir artistique hollandais ». Cet intérêt pour un genre alors considéré comme secondaire est aussi une manière de prendre position contre la hiérarchie des arts et la domination de l’art italien. L’auteur donne sa définition du portrait de groupe – trop restrictive pour Étienne Jollet : un tableau réunissant une « pluralité de figures », mais excluant les portraits de famille ou d’amis, régis par de trop fortes relations d’intimité et donc apparentés arbitrairement aux portraits individuels. Au final, le corpus d’images retenu par Riegl ne comprend que des images de corporations peintes à Amsterdam ou Haarlem. L’auteur adopte ensuite un plan chronologique, allant du milieu du XVIe à la fin du XVIIe siècle, de Jan Van Scorel à Gerard Terborch en passant par Rembrandt, considéré comme « l’exécutant – le plus génial il est vrai et, provisoirement, parfait – du vouloir artistique de son peuple et de son temps ».
Nourri de descriptions et d’analyses très précises de tableaux connus ou moins connus, cet ouvrage vient enrichir la bibliographie disponible en français sur la peinture hollandaise, encore bien maigre aujourd’hui. Mais il permet surtout de se plonger dans le véritable sujet qui fascine Riegl au travers de ce corpus soigneusement choisi pour servir son analyse : le talent des peintres hollandais pour traduire « la représentation de l’attention », c’est-à-dire à établir une « unité externe (une liaison entre ce qui est représenté et le spectateur) la plus parfaite possible avec le sujet regardant ». Ce que Riegl considère comme étant à l’opposé d’un « vouloir artistique italien » privilégiant l’action et le sentiment. En ce sens, son formalisme rapproche de nouveau l’histoire de l’art de l’histoire culturelle.
Aloïs Riegl (1858-1905), LE PORTRAIT DE GROUPE DANS LA PEINTURE HOLLANDAISE, éd. Hazan, 2008, préface d’Étienne Jollet, traduit de l’allemand par Aurélie Duthoo et Étienne Jollet, 408 p., 60 ill., 35 euros, ISBN 978-2-8502-5986-9
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Un autre Riegl
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°295 du 23 janvier 2009, avec le titre suivant : Un autre Riegl