Livre

Stéphane Guégan : « Baudelaire conçoit l’acte critique comme un acte créateur »

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 28 mai 2024 - 581 mots

Dans l’Album qui accompagne la réédition de son œuvre dans La Pléiade, vous vous intéressez au Charles Baudelaire critique d’art. Le poète rebelle fut-il un critique d’art rebelle ?

Je ne sais pas si l’on peut parler de rébellion. En tout cas, il y a très tôt une volonté d’affirmation. Baudelaire n’a pas 25 ans en 1845 quand est publié le Salon de 1845, une brochure de 70 pages tranchantes, presque insolentes. La critique se doit d’être passionnée, comme l’art. Il va jusqu’à écrire : « Je recommande à ceux que mes pieuses colères ont dû parfois scandaliser Les Salons de Diderot. »

Quels sont ses auteurs de référence pour son analyse de l’art ?

Outre Diderot, Stendhal l’a profondément marqué. Dès 1838, il lit et cite les articles de Théophile Gautier. Ses visites assidues du Louvre, notamment à la galerie espagnole, sont capitales. Lors de l’Exposition universelle de 1855, il affirme que chaque époque et chaque culture doit posséder une expression du beau qui lui soit propre. La modernité qu’il théorise en découle, modernité double faite de transitoire et d’éternel.

Quelles sont les interférences entre l’écriture du critique d’art et l’écriture poétique ?

Elles sont permanentes. Il conçoit l’acte critique comme un acte créateur. La critique d’art s’élève à la littérature, voire à la philosophie, et aujourd’hui ses Salons sont considérés comme appartenant à son œuvre. Du reste, en 1845, il annonce dans sa critique d’art ce que sera sa poésie en suggérant qu’elle se situe du côté de Delacroix, du tragique de l’existence, plus que de Victor Hugo.

Peut-on dire que la critique d’art l’a construit ?

Elle lui a donné une légitimité littéraire. Sa critique du Salon de 1845 est repérée, celle de 1846, davantage encore. Et en 1856, un avant LesFleurs du Mal, l’écrivain prévoit de réunir la majeure partie de sa critique d’art.

Quel fut le poids de sa critique ?

Quoique son influence soit encore difficile à évaluer, elle marque l’entourage de Baudelaire, de Courbet à Manet. Degas l’a lue à la fin des années 1860. Mais le triomphe du critique d’art commence après sa mort, au moment où Michel Lévy republie l’essentiel de ses textes.

A-t-il contribué à faire émerger des artistes ?

Il est difficile de répondre, tant Delacroix, déjà célèbre en 1845, domine son panthéon. Mais il a contribué à imposer Gustave Courbet autour de 1848, bien qu’il ait ensuite reproché au réalisme d’être trop prosaïque et trop étanche à la dualité humaine. Ni trop généraliser, ni trop particulariser : c’est la ligne de Baudelaire, pour qui subjectivité et objectivité doivent trouver un accord toujours original. Au fond, il a passé sa vie à chercher son « peintre de la vie moderne », un Delacroix de la modernité, sans vraiment le trouver.

Et pourquoi ne le trouve-t-il pas dans l’œuvre d’Édouard Manet ?

La peinture de son cher Manet, pour être plus proche de son idéal que celle de Courbet, car plus proche des Espagnols, lui semble en devenir. Mais n’oublions pas le quatrain Lola de Valence, hommage au tableau peint par Manet en 1862. Dans l’Album Baudelaire, je montre aussi que les partisans du peintre, lors du Salon des refusés, sont tous des proches de Charles Baudelaire, et presque ses porte-parole. On voit aussi ce dernier soutenir le peintre auprès de l’administration impériale. Manet fut même l’un des derniers noms qu’il ait prononcé avant l’aphasie finale. Il avait reconnu en lui le peintre de la ville et du spleen, du désir et de la mort.

À LIRE
 
Œuvres complètes, Charles Baudelaire,
La Pléiade, Gallimard, 2 vol., 1760 pages, 75 € chacun.
Album Charles Baudelaire, Stéphane Guégan,
256 p., 209 ill., offert pour tout achat de trois volumes de la Pléiade.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°776 du 1 juin 2024, avec le titre suivant : Stéphane Guégan : « Beaudelaire conçoit l’acte critique comme un acte créateur »

Tous les articles dans Médias

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque