Street art

Space Invader : « J’ai le fantasme d’une armée travaillant à mon invasion »

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 21 décembre 2011 - 544 mots

Bientôt quinze ans qu’il parcourt la planète et cimente ses mosaïques dans la ville. Entre stratégie virale, signature bankable et Street Art, rencontre avec un artiste monte-en-l’air.

L’œil : Quel a été le premier Space Invader réalisé à Paris ?
Space Invader : À l’époque, à la fin des années 1990, je travaillais sur les images pixelisées. Le lien avec la technique traditionnelle de la mosaïque m’a paru évident et, un beau jour, j’ai posé un petit Space Invader dans la rue, près de Bastille. Il est resté là des mois, avant que je réalise le programme qu’il pouvait contenir, celui d’une invasion planétaire.

L’œil : Dans quelle histoire s’inscrivait ce premier geste ?
S. I. : Je suis un mangeur d’artistes. Je connaissais bien sûr le travail de Christo, d’Ernest Pignon-Ernest, les écrits de Walter Benjamin, mais j’étais tout aussi attiré par des artistes comme Sophie Calle ou Claude Closky. Quant au Street Art, je n’y connaissais rien. De toute façon, à l’époque, le mot n’existait même pas. Le mouvement commençait à émerger, mais sans concertation. Dans la foulée, j’ai découvert le graffiti, une culture et une histoire bien plus énergiques et vivantes que dans l’art contemporain.

L’œil : Vous avez fait un passage par les Beaux-Arts. Quelles étaient, à cette époque, vos préoccupations de jeune artiste ?
S. I. : J’y suis entré pour suivre un master multimédia. D’ailleurs mes tout premiers travaux utilisaient déjà l’ordinateur et les images numériques. Mais je voulais surtout rentrer dans la ronde de l’art. À ce moment-là, c’était encore sous mon vrai nom.

L’œil : Alors que vous répondez à des commandes publiques, pourquoi continuer à dissimuler votre véritable identité ?
S. I. : Disons que ça fait partie du projet. Le fait de ne pas pouvoir me donner de nom et de visage évite une forme de parasitage de mon activité artistique. Ça permet de se concentrer sur le travail, et c’est devenu comme un jeu avec le public. Mais même le plus masqué des street artistes, comme Banksy, est percé à jour en moins d’une demi-heure sur Google !

L’œil : En quoi la signature vous est-elle toujours nécessaire ?
S. I. : J’ai toujours eu dans un coin de ma tête le fantasme d’une armée entière travaillant sur mon projet d’invasion ! D’autant que je reçois en permanence des propositions de participation et que, si vous regardez bien, il y a déjà des faux un peu partout. J’adorerais sortir un livre d’instructions sur l’invasion du monde, une sorte de manuel accessible à tous. L’idée que le projet soit plus fort que moi me plaît bien.

L’œil : Quelle part du projet revient à la documentation ?
S. I. : C’est décisif. Le Space Invader n’est vraiment qu’une toute petite partie visible de l’iceberg. Dessous, derrière, à côté, il y a des stocks d’images de tous ceux que j’ai posés dans le monde, de toutes les adresses, les dates. Et puis de nombreuses mosaïques ont évidemment disparu, même si j’ai créé mon utopie personnelle en contournant l’essence du Street Art par l’utilisation d’un matériau inaltérable. Reste la documentation. C’est par elle qu’elles existeront.

Space Invader, L’Invasion de Paris, guide d’invasion 02, prolifération

Fin mars 2012, livre d’artiste, 224 p., 1500 ill., environ 25 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°642 du 1 janvier 2012, avec le titre suivant : Space Invader : « J’ai le fantasme d’une armée travaillant à mon invasion »

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