Cinéma - The Souvenir I et II forment l’un des projets cinématographiques les plus éblouissants que l’on ait vu récemment.
Joanna Hogg y raconte le destin d’une jeune Anglaise dans les années 1980. La première partie, tournée dans un style âpre, relate son arrivée à Londres. Inscrite dans une école de cinéma, Julie a l’intention de tourner des films réalistes sur les dockers et les années Thatcher. Puis elle rencontre Anthony : dandy, cadre au Foreign Affairs, ruiné, héroïnomane… Dans le second volet, Hogg déploie un cinéma plus lyrique pour décrire comment Julie va s’appuyer sur le « souvenir » de cette relation pour tourner son film d’école et reconstruire sa vie après Anthony. Le titre du film fait référence à une œuvre de Fragonard que Julie découvre avec Anthony à la Wallace Collection. Elle représente une jeune femme, gravant sur un tronc d’arbre le nom d’un homme dont elle vient de recevoir une lettre. Plus tard, Anthony envoie à Julie des petits mots sur une carte postale du Souvenir. Le tableau reviendra de façon surprenante dans le second volet, clé de la jeunesse de Julie qui se referme. Peint autour de 1775, ce tout petit Fragonard s’inspire d’une scène du roman de Jean-Jacques Rousseau, Julie, plus connu par son sous-titre : La Nouvelle Héloïse. La Julie de Joanna Hogg cultive avec Anthony l’hédonisme d’un mode de vie désuet qui la rapproche de la Julie de Rousseau et Fragonard. Les bombes de l’IRA ne frappent que d’un écho lointain. Le couple voyage à bord de l’Orient-Express, pique-nique sous les arbres avec des paniers en osier, prend des tea-time au champagne dans les palaces… Hogg encadre son héroïne, comme un peintre, dans des miroirs ou des fenêtres. Puis, la seconde partie renverse la première. Soudain, la caméra prend son envol et l’écran s’illumine. Joanna Hogg filme les néons de Soho et son héroïne courant à perdre haleine sur There Must Be An Angel de Eurythmics. En 1989, la chute du mur de Berlin signera à la fois la fin d’une époque, d’une décennie et la naissance de la nouvelle Julie. Le temps va passer. Il y aura d’autres hommes, d’autres amis. Et sur l’écorce de sa mémoire, le prénom d’Anthony, légèrement effacé, à jamais gravé, comme les mots de Rousseau : « Si l’amour est le plus délicieux sentiment qui puisse entrer dans le cœur humain, tout ce qui le prolonge et le fixe, même au prix de mille douleurs est encore un bien. »
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Souvenir de Fragonard
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°752 du 1 mars 2022, avec le titre suivant : Souvenir de Fragonard