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ESSAI

Rhétorique de la caricature révolutionnaire

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 2 mars 2022 - 666 mots

Spécialistes de la Révolution française, les auteurs analysent les thèmes qui parcourent la caricature de la fin du XVIIIe siècle à Napoléon III et qui ont construit un langage politique compréhensible par tous.

Plus qu’un autre, la caricature est un art de la référence. Parce qu’elle est souvent polysémique, qu’elle doit être exécutée rapidement et qu’elle doit pouvoir être lue par toutes les catégories de la population, elle reprend des schémas de pensée et de représentation déjà existants. Les historiens Pascal Dupuy, spécialiste de la caricature et de la Révolution française, et Rolf Reichardt, également spécialiste de cette époque, analysent dans ce livre de nombreuses images (190 sont reproduites) pour dégager de grandes lignes de correspondances entre les caricatures de l’Ancien Régime et de la Révolution française et celles des différents règnes du XIXe siècle ainsi que des périodes révolutionnaires jusqu’à la Commune de 1871.

Ce qui frappe de prime abord, c’est que la caricature constitue alors une véritable culture populaire :« Le discours de la caricature est devenu, en France, dans le premier tiers du XIXe siècle, tellement connu et apprécié, qu’il peut s’autoparodier ou s’autociter sans nuire à ses effets comiques. À l’inverse, le recyclage des thèmes, des personnages et des attributs symboliques a permis de créer un alphabet visuel et une grammaire des signes que les artistes peuvent évoquer sans explications supplémentaires. » Habitué depuis longtemps à l’imagerie populaire, le peuple apprécie la caricature et l’intègre dans l’élaboration de son opinion lors de la Révolution française. « Pour une grande partie, ce succès s’explique, bien entendu, par la verve, souvent grotesque, par les couleurs attrayantes et par le prix modique de ces satires graphiques imprimées sur feuilles volantes, criées par les colporteurs ou exposées dans la rue Saint-Jacques et sur les boulevards de Paris. » Les auteurs ajoutent que ce succès est également dû à la réutilisation de thèmes de l’imagerie traditionnelle. Ainsi, le convoi funèbre qui était représenté lors du décès des rois est repris, agrémenté d’un cortège de scélérats, jusque sous le Second Empire. Les Cris de Paris, ces représentations des petits métiers de la rue, trouvent un nouveau rôle dans la satire.

Certains thèmes sont traités avec sérieux : Jean-Jacques Grandville, par exemple, est souvent grave, comme dans Le Temps l’amène, patience, patience ! (1834), une estampe sur la liberté parue dans La Caricature. Auprès de la plantureuse Liberté, le Temps, représenté avec sa faux, descend en droite ligne des allégories de l’art classique. Car la caricature n’est pas le dessin d’humour : elle est souvent plus corrosive que drôle. Si « l’éteignoir du bon sens » posé sur les têtes des obscurantistes (les partisans de la Restauration) nous fait sourire, c’est à contresens, parce qu’il nous rappelle l’entonnoir que nos bandes dessinées réservent aux fous. Il faut cependant signaler la lithographie Serment des Ultras (1819, voir ill.) de A. Bernard, dérivée du Serment des Horaces de Jacques-Louis David, l’un des rares exemples de l’époque pour lesquels notre humour rejoint celui de l’artiste.

Le livre se conclut par une étude sur les trois couleurs de la France : « Dès le début de la Révolution, les estampes révolutionnaires vont à la fois illustrer et débattre de la polysémie de la cocarde tricolore. » D’abord emblème du patriotisme royal, elle est ensuite revendiquée par les antiroyalistes. Le 1er octobre 1789, le banquet de Versailles au cours duquel les cocardes tricolores sont piétinées par les gardes du corps marque un tournant. Les trois couleurs sont désormais le « pavillon improvisé des armées de la Révolution » et restent, sous l’Empire « un emblème national vénéré porteur d’idéaux patriotiques ». Elles apparaissent dans les estampes relatant les Trois Glorieuses et les gravures favorables à Louis Philippe prennent soin de le montrer brandissant le drapeau tricolore. Mais, après les émeutes de 1832, Honoré Daumier dessine le procureur général, le préfet de police et le maréchal Soult occupés à blanchir le drapeau, dans son estampe Les Blanchisseurs. En 1848 et en 1871, ce sera au drapeau rouge que feront appel les caricaturistes pour évoquer les forces républicaines.

Pascal Dupuy et Rolf Reichardt, La Caricature sous le signe des révolutions. Mutations et permanences (XVIIIe-XIXe siècles),
PURH, 2022, 289 pages, ill., 31 euros.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Rhétorique de la caricature révolutionnaire

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