Jurisprudence

Rendre justice à l’art

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2014 - 685 mots

Avec ces « petites histoires de l’art et grandes affaires du droit » se dévoilent les grandes questions de la création artistique et leur rapport au marché.

Paru en décembre 2013, l’ouvrage de Céline Delavaux et Marie-Hélène Vignes, respectivement docteur en littérature et avocate, relève avec talent le défi d’une narration minutieuse de ces affaires, servie par une très belle iconographie, au profit d’une approche très juste des multiples dimensions juridiques en présence. Ainsi que le soulignent avec raison les auteurs, il n’existe pas un droit de l’art spécifique, mais bien au contraire une « pluralité de réglementations ».

De Véronèse à Jeff Koons, le choix des procès dévoile une véritable continuité des problématiques auxquelles sont confrontés tant les artistes que leurs héritiers, les intermédiaires du marché de l’art et les acquéreurs. Construit autour de trois thèmes centraux, le créateur et la création, l’exploitation et la circulation de l’œuvre, et la censure et la liberté d’expression, le propos s’appuie sur des jurisprudences célèbres ou inédites, françaises ou étrangères, interrogeant l’adaptabilité du droit à l’art. À cet égard, l’innovation juridique est réelle, ainsi que le révèle par exemple la création du droit à l’image avec la jurisprudence du portrait mortuaire de la tragédienne Rachel Félix. Ou encore, l’accueil de la photographie dans la sphère du droit d’auteur et du copyright.

Les coulisses de l’histoire de l’art
Les histoires révélées à l’occasion de ces rencontres judiciaires se font ainsi « matières à récit ». Les développements sur le testament de Bonnard ou l’affaire des faux Mondrian proposés pour acquisition au Centre Pompidou régalent le lecteur et permettent de laisser libre cours à son imagination. Surtout, un grand soin est accordé à la contextualisation historique des quelque quatre-vingts affaires envisagées. À l’occasion, cela permet de révéler « l’implication des artistes dans les affaires auxquelles ils sont parties, [implication qui] enrichit la jurisprudence comme la théorie de l’art : les attendus réservent généralement une place de choix aux arguments artistiques et certains plaideurs s’investissent bien au-delà de leur propre cause ». Ainsi, une très précieuse traduction inédite, proposée par les auteurs du procès de Véronèse pour sa Cène dans la maison de Simon, permet d’entendre les arguments de l’artiste face au tribunal du Saint-Office en raison du traitement jugé choquant d’un tel sujet. N’hésitant pas à revendiquer « la même liberté que les poètes et les fous », prémices de la liberté de création artistique, l’artiste échappe à toute condamnation en modifiant le titre de son œuvre, rebaptisée Le repas chez Levi. Habile subterfuge. Parfois, l’origine du contentieux artistique pourrait s’avérer fort étonnante pour le lecteur peu habitué aux prétoires. En effet, la jurisprudence est particulièrement abondante en matière de cartes postales et de publicités intégrant des œuvres d’art sans le consentement de leur auteur. Suite à la très célèbre controverse des Deux Plateaux de Daniel Buren, un chausseur parisien mit en scène un escarpin sur l’une des colonnes du Palais-Royal afin d’en promouvoir l’audace, sans pour autant indiquer le nom de l’artiste. L’atteinte au droit à la paternité fut alors sanctionnée, les juges n’hésitant pas à relever de manière étonnante que l’œuvre si controversée « est perçue par le public comme moderniste, voire d’avant-garde ». Or, le mérite ne peut nullement constituer un critère d’appréciation de l’originalité ; le juge ne peut se faire critique. La dernière partie de l’ouvrage, « entre censure et liberté d’expression », aborde avec retenue et précision une problématique particulièrement délicate. L’ensemble des enjeux essentiels sont abordés, notamment la place de certains acteurs à l’origine de l’intérêt judiciaire sur ces questions. Le rapport au corps aurait cependant pu être davantage développé, notamment au regard de la problématique de la performance artistique. Si, l’affaire Sorbelli/Yoshida est abordée, il aurait été ainsi judicieux de souligner que l’ensemble des documents de la procédure intentée par l’artiste italien fut intégré à son œuvre. Le droit peut ainsi devenir un matériau artistique. Introduction séduisante à une histoire de l’art par le prisme juridique, Les procès de l’art offre également une approche de qualité sur l’ensemble des problématiques avec lesquelles les acteurs du marché de l’art doivent nécessairement composer.

Les procès de l’art

Céline Delavaux et Marie-Hélène Vignes, éditions Palette, déc. 2013, 352 pages, 29 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°406 du 31 janvier 2014, avec le titre suivant : Rendre justice à l’art

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